Travailleurs coréens de Tetra Pak en grève de la faim à Lausanne

Le jeudi 18 octobre dernier, 23e jour de grève de la faim de deux travailleurs coréens de Tetra Pak à Lausanne, solidaritéS s’est entretenu avec Sangjin Lee, vice-président-de la KCTWF (Fédération coréenne des travailleurs du textile et de la chimie) et avec Janghun Chung, délégué syndical Tetra Pak Corée.
Pouvez-vous rappeler pour nos lecteurs-trices les raisons de votre protestation et de cette grève de la faim qui en est à sa 4e semaine?

Sangjin Lee: Merci d’abord d’être venu nous voir et d’exprimer votre solidarité. L’usine de Yeoju était la seule usine du groupe Tetra Pak en Corée, en fonction depuis une vingtaine d’années, employant un peu plus d’une centaine de salarié-e-s. Elle a toujours dégagé des bénéfices pour cette multinationale. Sa fermeture a été décrétée unilatéralement le 9 mars dernier, avec une vingtaine de jours de préavis seulement. La direction a alors refusé de négocier avec le syndicat et imposé, de manière unilatérale également et sans aucune consultation, un prétendu «plan social» qu’elle a qualifié de généreux. En réalité, il n’en était rien, puisque c’était un chantage: la direction affirmait que si les travailleurs-euses n’acceptaient pas son diktat, ils allaient être licenciés sur le champ sans autre indemnisation que le versement des pensions de retraites dues légalement. Vingt-deux salariés syndiqués à la KCTWF ont refusé ces conditions draconiennes et maintenu leur opposition aux pratiques antisyndicales de la direction et à la fermeture unilatérale de leur usine. Ils ont été brutalement licenciés et c’est la poursuite de leur combat contre un diktat patronal unilatéral et antisyndical qui les a conduits à Lausanne, où se situe le siège du groupe, et qui motive notre grève de la faim.

Ce combat s’inscrit dans l’opposition des travailleurs-euses et de leur syndicat aux conditions que la direction du groupe a voulu imposer l’an dernier aux salarié-e-s de l’usine de Yeoju, comprenant notamment l’abolition de l’élection de délégués syndicaux dans l’entreprise, l’interdiction de tout recours à la grève sur plusieurs années, l’interdiction de toute expression de solidarité avec d’autres syndicats ou les travailleurs-euses d’autres entreprises, et la désignation arbitraire de «task force teams» avec des «représentant-e-s» des travailleurs choisis par la direction et chargés de «négocier» des nouvelles normes de travail et de productivité représentant une dégradation massive des conditions de travail, de salaire et des droits pour les employé-e-s.

Ces 19 conditions, à laquelle est venue s’ajouter la 20e, formulée verbalement, concernant l’éviction du représentant syndical de l’entreprise, ont été formulées le 20 juin de l’an dernier, avec, à l’appui, des menaces concernant la fermeture de l’entreprise. Ces conditions inacceptables ont été refusées par les travailleurseuses et notre syndicat et c’est clairement ce qui a conduit à la décision, politique plutôt que commerciale, de liquider l’usine coréenne du groupe à Yeoju.

Tetra Pak est une multinationale, vous avez porté votre lutte sur le plan international également. Comment cela s’est-il passé?

Janghun Chung: Notre première démarche «internationale » a été de nous rendre en Suède pour une quinzaine de jours, où nous avons eu des contacts avec des syndicalistes et des travailleurs-euses de Tetra Pak également. En Suède, nous sommes rentrés en contact avec un syndicat minoritaire très combatif qui nous a parlé de l’expérience de deux de leurs syndiqués présents dans l’entreprise Tetra Pak à Lund qui ont été en butte à un flicage antisyndical de la part de la direction, comme aussi des exigences toujours accrues et déraisonnables en matière de productivité de la part de celle-ci: un travail qui demandait cinq heures auparavant étant par exemple exigé en deux heures… Pour ce qui est des syndicats majoritaires, un camarade de l’UITA a pris contact, et ils ont manifesté leur surprise concernant cette affaire en affirmant qu’ils n’avaient pas eu de problèmes avec Tetra Pak, mais ils se sont engagés à vérifier la conformité des agissements du groupe avec le «code de conduite» que Tetra Pak s’est engagé à respecter… Pour ce qui est de la Suisse, Tetra Pak a aussi délocalisé et licencié une centaine de travailleurs dans une usine à Romont, en 2006… C’est un exemple de la stratégie du groupe, qui est manifestement identique à travers le monde entier. A Romont, par exemple, ils ont procédé aussi de manière unilatérale en lâchant un peu d’argent pour «acheter» le silence et le droit d’agir comme bon leur semblait.

Tetra Pak a donc une politique antisyndicale à l’échelle internationale?

Janghun Chung: Oui, pendant des négociations salariales, l’an dernier, en Corée, l’un des directeurs de Tetra Pak a affirmé que les 19 conditions qui nous ont été imposées l’avaient été aussi à Singapour et ailleurs, où elles avaient été acceptées. Il a également été affirmé que si ces conditions étaient acceptées et que le responsable syndical se démettait, la fermeture de l’usine pourrait être évitée, contrairement à ce qui s’était déjà passé sur un site japonais et australien. C’est la démonstration que la menace de fermeture ne répondait pas à une simple logique industrielle ou commerciale, mais que cette décision avait un caractère avant tout politique.

Au 23e jour de cette grève de la faim, quelles sont vos perspectives immédiates?
Sangjin Lee: Ces 23 jours de grève de la faim se sont traduites par une importante perte de poids, des maux de tête, des problèmes de peau et d’oreille et une forte baisse de la tension artérielle…. Mais nous n’avons pas fixé de limite à notre action, nous entendons continuer jusqu’à la fin, aussi loin que nos forces le permettent.

Notre revendication centrale est la garantie du réengagement des 22 licenciés, la réouverture de l’usine et de nouvelles possibilités d’emploi à Tetra Pak Corée, avec aussi la reconnaissance de la continuité des rapports de travail pour les salarié-e-s concernés.

Il faut que nous obtenions, ici en Suisse, un accord qui nous permette de rentrer en Corée pour poursuivre des négociations sur la base d’un engagement ferme et concret. Nous sommes cinq ici avec deux grévistes de la faim, 17 collègues sont restés sur le terrain en Corée et continuent la lutte: deux d’entre-eux ont commencé il y a 9 jours environ une grève de la faim en solidarité avec celle que nous menons ici.
Quelles ont été à ce stade la réaction de l’entreprise? Qu’attendez-vous de la solidarité en Suisse pour votre lutte?

Sangjin Lee: La direction du groupe se montre fermée et refuse d’entrer en matière sur les sujets importants, en disant, pour se débarrasser de notre présence ici, que tout ça doit être discuté en Corée. Leur attitude est arrogante et offensante, tout leur marketing met en avant une prétendue préoccupation pour le bien commun et l’être humain, mais par leur attitude, ils démontrent que ce n’est pas vrai et que c’est l’argent seul qui les intéresse. Par contre, nous avons reçu un réel soutien de syndicalistes et de citoyen-ne-s suisses, un comité de soutien s’est formé. Il y a une pétition qu’on peut signer pour manifester le fait que la population appuie nos revendications et des lettres de protestation qui peuvent être envoyées à la direction du groupe.

Avec la globalisation, notre problème concerne tout le monde. C’est une question politique et il faut se battre pour éliminer les méthodes antisyndicales et amorales de Tetra Pak, pour contribuer à éradiquer les comportements de multinationales qui ne se conforment pas au standards internationaux. Il y a un lien très fort entre les entreprises à l’échelle internationale, notre solidarité doit elle aussi se placer à ce niveau.

Le gouvernement Suisse a une responsabilité particulière. En effet, Tetra Pak a déplacé son siège à Pully en 1981 pour obtenir un traitement favorable sur le plan fiscal. C’est le cas de beaucoup de multinationales, donc la Suisse ne peut pas se laver les mains quant à ces problèmes, elle doit les empoigner sérieusement.

Entretien réalisé par Pierre Vanek

Tetra Pak en bref…

Tetra Pak est une entreprise d’emballages et de machines à emballer d’origine suédoise, fondée par le Dr Ruben Rausing et par Erik Wallenberg, en 1951. Dès 1952, la société conçoit le premier berlingot de crème dans un carton de forme pyramidale (tétraèdrique). Onze ans plus tard, elle commercialise la brique rectangulaire, avec ses sous-couches en aluminium et matière plastique. Ce système révolutionne le stockage et le transport des boissons, puisque 20’000 briques occupent le même espace qu’une citerne de 20’000 litres. Les déchets compressibles prennent aussi peu de place, même s’ils sont difficilement recyclables et représentent un défi majeur pour l’environnement. Un exemple parfait de la contradiction entre logique capitaliste et logique environnementale.

Dès 1981, la multinationale déplace son siège en Suisse, à Pully. En 1991, elle fusionne avec l’un de ses principaux concurrents, Alpha Laval. Le groupe Tetra Laval emploie dès lors plus de 20’000 salarié-e-s dans 165 pays, produit 121’000 milliards d’emballages par an et réalise un chiffre d’affaires de 13,5 milliards de francs… En 2004, selon la revue Bilan, la famille Rausing était la seconde plus riche de Suisse, avec une fortune évaluée à 15 milliards de francs…

Jean Batou

3 novembre 2007, 18:01 | international / Travail

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