(intervention au Grand Conseil, 29 mars 2011)

SALAIRE MINIMUM rapport 08.136/Marianne Ebel, solidaritéS

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les députés,

 

Précisons d’emblée un élément pour lever toute ambiguité :

Le projet de décret dont il est question aujourd’hui propose l’introduction d’un salaire minimum cantonal, lié à un travail, et non pas un revenu minimum.

Le canton de Neuchâtel est tout particulièrement concerné, puisque l’aide sociale, on le sait explose. En ville de Neuchâtel sur 1750 personnes qui se trouvent à l’aide sociale, 400 sont des workings poor. Près d’ 1/4 de personnes à l’aide sociale sont des workings poor, cette proportion, énorme, est confirmée dans d’autres parties du canton.

Nous partons de l’idée que toute personne qui travaille à plein temps a droit à un salaire qui lui permet de vivre décemment.

Selon M. Daniel Vaughan-Withehead, membre du Programme des conditions d’emploi et de travail du BIT (bureau international du travail) 3 raisons majeures justifient l’instauration d’un salaire minimum légal :

1. La nouvelle configuration du marché du travail est caractérisée par une hausse significative des formes non classiques d’emploi, associées à davantage de précarité (travail sur appel, forte proportion d’emplois peu rémunérés). Il y a en Suisse 211.000 working poor (soit 6,67% de la population active), dont beaucoup de femmes et de familles monoparentales.

Neuchâtel n’échappe pas à cette réalité, et les dossiers ouverts à l’aide sociale en attestent largement.

En Suisse, environ 1 personne sur 4 touche moins de 4500 francs brut, une personne sur 10 touche moins 3700 francs dont 70% de femmes. Ce sont donc au niveau national environ 10% des salariés, et peut-être un peu plus dans le canton, qui sont concernés par notre proposition.

2. D'après l’OIT (organisation internationale du travail), les mouvements accrus de main-d'œuvre et de capitaux au sein de l’Europe –auxquels la Suisse n’échappe pas – ont donné naissance à des problèmes de dumping salarial avec le recours à des travailleurs immigrés mal payés.

A Neuchâtel, l’existence d’une commission tripartite de contrôle limite un peu les dégâts, mais le dumping salarial et la dérégulation du marché de l’emploi liés à la mondialisation augmentent aussi dans notre canton.

3. D'après M. Vaughan-Whitehead, le déclin de la portée de la négociation collective et de la syndicalisation a conduit de nombreux syndicats à militer en faveur de l’introduction d’un tel outil réglementaire, afin de préserver un pouvoir d’achat suffisant pour les employés situés en bas de l’échelle de rémunération. C’est le cas de l’USS qui a lancé une initiative fédérale pour l’instauration d’un salaire minimum chiffré à 22 francs.- , ce qui revient à 4000.- pour un emploi à plein temps à raison de 42h/semaine.

Le maintien d'un pouvoir d’achat suffisant pour tous les Neuchâtelois en emploi doit aussi être une préoccupation pour nous.

Réponses à quelques objections exprimées à propos de l’instauration d’un sal. minimum :

l’existence d’un salaire minimum pourrait avoir un effet pervers de pression sur les salaires à la baisse,

Non c’est l’inverse qui se passera.Le salaire minimum est destiné aux travailleuses et travailleurs non qualifiés ; dès qu’il y a qualification les salaires seront plus hauts que le salaire minimum, et s’il est fixé autour de 4000.- ce serait évidemmen très favorable pour tous les salariés du canton de Neuchâtel. D’ailleurs une étude récente de la London School of Economy a mis en évidence que depuis l'instauration d'un salaire minimum dans les années 1990 par la Grande Bretagne, les salaires situés en-dessous du salaire médian ont davantage progressé.

une CCT vaut mieux qu’une loi qui sera difficile à édicter

Pour rappel, seuls 36% des salariés sont en Suisse au bénéfice d’une convention collective de travail (CCT); compte tenu du poids de l’industrie horlogère et de la construction, peut-être sont-ils un peu plus nombreux dans le canton de Neuchâtel.

l’instauration d’un salaire minimum légal est à comprendre comme une mesure complémentaire aux CCT et non comme un substitut..

le canton du Jura n’a jamais réussi à passer du principe constitutionnel à une loi d’application, nous aurons nous aussi de la peine à élaborer une loi.

Inscrire dans la Constitution neuchâteloise un tel droit serait un premier pas décisif, une façon de reconnaître que le problème des workings poor non seulement existe mais peut trouver une solution.Notre projet revêt la forme d'une initiative constitutionnelle demandant une modification de la Constitution neuchâteloise (Cst NE), afin d’y inscrire un droit à un salaire minimum. Pour que cette proposition soit juridiquement admissible, nous avons dû renoncer à y inscrire un chiffre précis. Le texte d’initiative prévoit donc uniquement que l’Etat institue un salaire minimum cantonal.

Cette disposition devrait bien sûr être concrétisée par une loi ; quand nous en serons là, nous ne manquerons pas de référent, et l’existence d’une initiative fédérale qui elle fixe explicitement le salaire minimum à 22.- /h. nous facilitera la tâche. Mais avant d’en discuter, il faudra que ce projet soit accepté par le peuple puisqu’il s’agit d’une modification de la Constitution et donc que le Grand Conseil permette cette consultation populaire. C’est de cela qu’il s’agit pour l’heure.

Instaurer un salaire minimum rendra le canton moins attractif pour les entreprises

Le salaire minimum concerne essentiellement des personnes non qualifiées et les entreprises qui s’installent recherchent du personnel qualifié. On n’a jamais vu une entreprise quitter le canton de Berne pour venir à Neuchâtel parce que les salaires sont plus bas. Il n’y a aucune raison de penser que le canton serait moins attractif si nous instaurons un salaire minimum. En plus comme il s’agit d’un processus en court à l’échelle nationale, il y a encore moins à craindre. Accepter ce projet de décret et donner à la population neuchâteloise la possibilité de se prononcer en faveur d’un salaire minimum donnerait à notre canton une image positive. Le fait qu’il y ait un débat public sur ce sujet est essentiel à une prise de conscience générale de la nécessité de faire un pas concret pour améliorer le quotidien des salariés les moins bien lotis.

La notion de "conditions de vie décentes" pose la question des normes de l'aide sociale. Si le revenu minimal retenu est du même niveau que l’aide sociale certains renonceront à prendre un travail

Le lien entre le salaire minimum et l'aide sociale devra être posé. Le salaire minimum doit permettre d’éviter un recours à l'aide sociale et pour que le travail reste attractif, nous pensons que le salaire minimum devrait être 30 à 35 % supérieur à l'aide sociale .

La liberté économique doit être préservée

Notre projet poursuit un but d’intérêt public, soit la garantie de conditions de vie décentes. Ce but est compatible avec le droit fédéral dans la mesure où sa finalité est d’atteindre un objectif de politique sociale de compétence cantonale, et non pas d’intervenir dans les rapports entre les employeurs et les travailleurs. La liberté économique et le droit civil fédéral sont préservés.

Notre proposition respecte les principes d’intérêt public et de proportionnalité, en précisant que l’Etat institue un salaire minimum cantonal dans tous les domaines d’activité économique, en tenant compte des différences régionales, des secteurs économiques ainsi que des salaires, fixées dans les conventions collectives.

A ce propos une discussion est ouverte sur le fait qu’on pourrait renoncer à tenir compte des différences régionales. Nous sommes tout à fait prês à amender notre proposition dans ce sens. Ce serait une belle manière de reconnaître les difficultés supplémentaires auxquelles sont trop souvent confrontés les travailleuses et travailleurs du haut du canton et des Vallées. Les privilégier, pour une fois, ce ne serait pas de trop !

En conclusion, notre proposition est une mesure de police économique et ne doit pas être appréhendée comme une mesure de politique économique ; elle n’interfère ni avec la liberté syndicale entre partenaires, ni avec la liberté économique. Elle est un outil pour lutter contre la pauvreté.

Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles le groupe POPVertsSol votera le projet de décret et vous invite à en faire de même. Je vous remercie pour votre écoute.