source : journal solidaritéS n°172 (19/08/2010), p. 16.

Neuchâtel


Les énergies renouvelables deviennent un marché très prisé, où les occasions de faire des profits pour les sociétés sont sérieuses. L’éolien est une de ces sources énergétiques alternatives. Des projets considérables sont en construction dans le monde entier. Les mesures d’incitation gouvernementale, en Suisse comme ailleurs, garantissent désormais un tarif de rachat de l’électricité à prix coûtant (prix de production) pour l’énergie renouvelable (rendement financier garanti aux investisseurs qui se pressent dès lors au portillon). Les crêtes du Jura sont le site prioritaire retenu en Suisse. Le canton de Neuchâtel a défini un concept éolien, voté par le Grand Conseil, qui retient une cinquantaine d’éoliennes réparties sur 6 sites, censées couvrir 18 % de la consommation du canton selon le Conseil d’Etat. Cela n’empêche pas des grands groupes électriques d’être très actifs auprès des communes et des propriétaires de terrain pour passer outre ce concept, le moment venu.

Une initiative cantonale tardive

En principe, les portes sont ouvertes pour la construction des éoliennes retenues par le concept éolien neuchâtelois, mais un comité, formé de défenseurs de la nature, tente aujourd’hui de contrer ces constructions ; il a lancé une initiative législative cantonale « Avenir des crêtes : au peuple de décider ! » (site internet : www.noscretes.ch).

Il demande que dans la zone de crêtes le plan d’installation d’éoliennes (ou d’antennes) soit soumis au vote du peuple (référendum cantonal obligatoire). Il s’appuie sur un décret de 1966 qui protège les crêtes et les sites naturels contre les constructions de résidences. Les initiants ont jusqu’au 18 octobre pour récolter 4500 signatures. Vu la manière dont le Conseil d’Etat Neuchâtelois se moque des initiatives déposées, à coup sûr des éoliennes seront construites ou en construction d’ici les années qui s’écouleront avant un vote du peuple. Mais la dégradation du paysage ne s’arrêtera pas de sitôt, donc l’initiative conserve toute sa validité.

Les arguments du comité d’initiative sont de deux ordres :

• la Suisse n’est pas adaptée à l’énergie éolienne. Même sur les crêtes du Jura, le vent est très irrégulier de nul à très fort

• les quelques % de notre consommation d’énergie que peut au mieux fournir l’énergie éolienne en Suisse ne justifient pas la destruction du paysage ; il serait beaucoup plus facile d’économiser la même quantité d’énergie

Concernant le premier point, technique, nous n’avons pas trouvé dans les publications de Suisse Eole, association de promotion de l’énergie éolienne, une réponse documentée au sujet de cette controverse.

Nous avons besoin d’études scientifiques qui clarifient le bilan énergétique global sur la base des éoliennes existantes dans le Jura, et non pas des études existantes sur l’éolien en mer du Nord comme semble s’en contenter le Conseil d’Etat. Le deuxième argument est plus spécieux, car il peut être opposé à toute production d’énergie renouvelable. Un point est évident : nous devrons remplacer le pétrole et le charbon par de multiples sources d’énergies renouvelables qui, chacune prise séparément, ne couvrira qu’une part limitée de notre consommation, l’utilisation économe d’énergie étant peut-être la principale source.

Une chose est sûre : l’implantation d’éoliennes va encore occuper le terrain du débat public durant de nombreuses années.

L’énergie doit rester dans les mains de la collectivité

L’avenir énergétique est essentiel. Pour nous, l’Etat doit maîtriser l’accès à l’énergie, donc à sa production. L’énergie ne doit pas être source de profit pour des investisseurs privés, mais un bien équitablement partagé entre toute la population. Les Verts neuchâtelois avaient déposé un projet de loi demandant que le vent, comme l’eau, soit propriété de l’Etat qui seul pourrait l’exploiter ou accorder des concessions. Cette proposition avait été violemment combattue par les Verts libéraux et toute la droite pour qui la liberté du commerce et de l’enrichissement  est une priorité. Finalement le Grand Conseil a balayé le projet des Verts dans sa session du 26 janvier sur la base d’arguments juridiques. C’est un problème national qui reviendra sur la table.

L’énergie nucléaire n’est pas une alternative

L’initiative sur la protection des crêtes n’a recueilli à peu près aucun soutien officiel, ni des Verts, ni des associations de protection de l’environnement. Un des arguments avancés est qu’il est préférable d’avoir une éolienne qui occupe le paysage plutôt qu’une centrale nucléaire dont les conséquences à long terme peuvent être catastrophiques. Argument sérieux qui nous fait défendre les choix d’investissements dans les énergies renouvelables, dont l’éolien, ce qui n’élimine pas la nécessité d’un bilan énergétique sérieux (énergie dépensée pour la construction et l’installation-désinstallation vis-à-vis du potentiel estimé). Les grands groupes de l’électricité veulent construire des centrales nucléaires, source de profits considérables, mais ils savent qu’elles sont fortement combattues. Ils occupent le terrain des énergies renouvelables en partie pour montrer, dans le débat public, leur bonne volonté et s’octroyer, à moindre frais, un certificat de société préoccupée par le bien de la société. Cela leur sera bien utile au moment des décisions sur le nucléaire.

Le paysage est quelque chose de relatif. Celui d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui, ni celui de demain. Ce qu’on en fait doit être décidé collectivement. Dès lors, il est légitime que le peuple puisse se prononcer sur l’implantation d’éoliennes dans le canton de Neuchâtel. Mais pour que cela ait un sens, toutes les données du problème doivent être clairement présentées, ce qui est loin d’être le cas, et l’initiative doit aboutir, ce que nous souhaitons.

Henri Vuilliomenet