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L'abandon par la Banque Nationale suisse (BNS) du cours plancher à 1,20 fr. en janvier 2015 a vu les patrons des secteurs d'exportation et du tourisme monter au front et annoncer des pertes d'emplois, des baisses de salaire, des hausses du temps de travail, voire des délocalisations à l'étranger. Les syndicats ont également critiqué la décision de la BNS pour les mêmes motifs. Qu'en est-il réellement ?

 

La hausse du franc suisse  par rapport à différentes monnaies et notamment par rapport à l'euro n'est pas nouvelle. Elle est constante depuis huit ans par rapport à l'euro et quinze ans pour le dollar. L'économie suisse a donc déjà subi un renchérissement de ses produits à l'exportation. Nous allons donc examiner dans quelle mesure le renchérissement du franc dans le passé, par rapport aux deux principales monnaies des partenaires commerciaux de la Suisse, a eu des conséquences sur l'évolution du PIB, sur les exportations et sur les places de travail.

Sur les graphiques 1 et 2, on constate que la hausse du franc suisse a été très importante par rapport aux deux principales monnaies sur lesquelles sont basées les exportations suisses bien avant la hausse consécutive à l'abandon du taux plancher (hausse de l'ordre de 11 % entre le taux plancher et le taux à fin juin à 1,08 fr. pour un euro). La progression par rapport au dollar a été relativement régulière sur une longue période, celle par rapport à l'euro plus rapide et sur une période plus courte.

Evolution des exportations, du tourisme et de l'emploi

Ce renforcement du franc a-t-il eu des conséquences sur le PIB et les exportations suisses, ces dernières jouant un rôle important dans la production de richesses de notre pays ? Nous constatons tout d'abord que de l'an 2000 à 2013 (chiffres provisoires – tableau 3) le PIB est passé de 458,7 milliards à 647,9 milliards, soit une progression de plus de 41 %. La production de richesses n'a visiblement pas été remise en cause par la hausse du franc même si l'on peut supposer qu'elle aurait été plus forte avec un franc moins élevé.

Sur l'ensemble de la période, les exportations ont progressé de 56 % malgré un recul en 2003 et en 2009. Sur la même période, le solde de la balance commerciale est passé d'un solde négatif de 2 milliards à un solde positif de 23 milliards. Il est difficile de voir dans l'évolution de la balance commerciale un effet particulièrement négatif du renchérissement du franc par rapport à l'euro et au dollar.

Le tourisme est un secteur économique qui est sensible à l'appréciation du franc au regard des visiteurs en provenance de l'étranger. Il est donc intéressant de connaître l'évolution des recettes provenant des hôtes étrangers. Celles-ci sont passées de 11,223 milliards en 2000 à 15,976 milliards en 2014 soit une progression de 42 % sur l'ensemble de la période.

En ce qui concerne l'emploi, le nombre d'emplois en équivalent plein temps est passé de 3,040 millions au 1er trimestre 2000 à 3,568 millions au 4e trimestre 2014.

En conclusion, la hausse du franc suisse n'a pas entraîné d'effets négatifs notables sur la création de richesses, les exportations et les emplois. Cela ne signifie pas que certaines entreprises ou certains segments de production ou encore certains marchés touristiques n'ont pas souffert, mais de manière globale la production suisse a non seulement résisté, mais progressé.

Comment expliquer cette réalité au regard des annonces alarmistes faites à l'époque du décrochage de la monnaie helvétique ? Tout d'abord dans le domaine de la production de biens, les matières premières et d'autres facteurs de production en provenance de l'étranger sont devenus moins chers. Ensuite, certains biens produits, dans le domaine du luxe par exemple ou les produits très spécialisés avec peu de concurrence, sont peu sensibles aux variations de prix. Enfin, il n'est pas exclu qu'une partie de certaines productions ait été délocalisée à l'étranger pour être ensuite importée et montée en Suisse.

Par ailleurs, lors de la conclusion de gros contrats, il n'est pas rare que les entreprises s'assurent contre les fluctuations de change, ce qui les couvre à moyen terme. Enfin de nombreuses entreprises suisses disposent de liquidités qui se sont appréciées avec le franc. Dès lors, leur capacité à investir ou à racheter des concurrents s'en trouve renforcée. Mais surtout, pendant cette période la productivité du travail a continué sa progression ce qui a contribué à compenser la hausse des prix à l'exportation. Ainsi pour l'ensemble de l'économie marchande, la productivité du travail a augmenté de plus de 13 % de 2000 à 2012 et pour la seule économie manufacturière la hausse de la productivité s'est élevée à près de 5 %. Les reculs dans les exportations se produisent dans les années (2003 et 2009) qui suivent les périodes de récession et ne peuvent être mis en relation avec la hausse du franc.

Et l'avenir ?

Peut-on extrapoler à partir des données présentées précédemment et en tirer la conclusion que la nouvelle hausse du franc restera sans conséquence sur la production et le marché du travail ? Difficilement, car les facteurs de la concurrence internationale évoluent sans cesse et il est possible que certains secteurs d'exportation rencontrent des difficultés, de même qu'une partie de l'industrie du tourisme. Mais l'expérience passée montre que les crises ou les récessions dans les marchés d'exportation affectent bien davantage l'économie suisse que la force du franc, qui peut être compensée de plusieurs manières.

Céder au chantage des em­ployeurs, que ce soit en matière d'horaire de travail ou de salaire au prétexte de la défense des emplois face au franc fort, ne contribue en rien à défendre des intérêts des salarié·e·s, car l'expérience passée montre que la plupart des entreprises trouvent des solutions pour faire face à la concurrence internationale.

Bernard Clerc

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