Le PS hésitant face à un cargo surchargé de cadeaux fiscaux

rie3
Les 16 et 17 mars derniers, le Conseil National s’est plongé dans le débat de la RIE
3 (3e réforme de l’imposition des entreprises). La formule adoubée par la Chambre basse est un bateau ultra-chargé de cadeaux fiscaux. Reste à savoir si le poids de ces nouveaux privilèges suffira à faire couler ce projet de réforme. Sébastien Guex, professeur d’histoire à l’Université de Lausanne et membre de solidaritéS, nous livre son analyse.

Quel est l’état de la RIE3 fédérale, après la discussion
du Conseil National (CN)
?

Le projet a été finalisé à une vitesse impressionnante. En l’espace d’une année (juin 2016), les milieux dirigeants suisses vont faire passer la plus colossale mesure de défiscalisation en faveur du grand patronat depuis la Deuxième Guerre mondiale. Lorsqu’il s’agit d’affaires sérieuses, les différentes fractions de la bourgeoisie sont capables d’agir avec une rapidité effrayante. De plus, la manoeuvre avance non seulement au pas de charge, mais à l’artillerie lourde. En effet, le CN a manifestement choisi de « charger le bateau à fond », pour employer une expression courante. Dit autrement, c’est le programme a maxima qui est adoubé. 

C’est-à-dire?

L’ampleur énorme des déductions alourdissent encore la version proposée en automne dernier par le Conseil des Etats (CdE). En sus de la baisse générale du taux d’imposition du bénéfice des entreprises, quatre éléments sont déterminants dans cette version a maxima : ➊ l’outil fiscal appelé patent Box – qui permet de déduire les bénéfices générés par les brevets, patentes et droits analogues – est maintenu. Il permettra des déductions colossales ; ➋ les dépenses en Recherche et développement (dont le contour est toujours très flou) pourront être déduites du bénéfice imposable à une hauteur supérieure à 150 %, légère limite qu’avait introduit le CdE. Pire encore, les entreprises multinationales pourront même déduire les dépenses en R&D effectuées à l’étranger ; ➌ la possibilité pour les cantons de mettre sur pied un mécanisme de déduction des intérêts dits « notionnels » –  ôter du bénéfice imposable un montant correspondant au taux d’intérêt fictif que les capitalistes auraient obtenu si, au lieu de placer leur argent dans leur entreprise, ils l’avaient placé sur le marché des capitaux – a été réintroduite ; ➍ dans ce formidable élan, le CN a réintroduit la taxe au tonnage pour les sociétés de transport maritime.

Seul petit verrou : les déduction ne devront pas dépasser 80 % du bénéfice imposable. Autrement dit, une entreprise qui fait un bénéfice de 100 millions ne pourra réduire son bénéfice imposable qu’à la somme de 20 millions, ceci à un taux qui sera la moitié de celui d’aujourd’hui, pour reprendre le cas vaudois. Pauvres actionnaires…

De plus, le CN a refusé d’augmenter la part de l’IFD dévolue aux cantons de 17 à 22 %, ce qui impliquera pour ces derniers une perte supplémentaire de plus de 400 millions. Il s’agit là très probablement du deal de façade qui sera convenu : le CdE va demander la réintroduction de cette augmentation, en échange des déductions supplémentaires du CN.

Quoi qu’il en soit, avec une version aussi agressive de la RIE 3, je pense que l’estimation de 5 milliards de pertes fiscales annuelles que je formulais en automne dernier est pour le moins précautionneuse.

Les défenseurs du projet RIE3 ne font-ils pas une erreur tactique

Les partis bourgeois sont unis de l’UDC au PDC, jusque dans certaines franges du PSS et des Verts. Tout ce petit monde ne craint pas une défaite devant un scrutin populaire. Ils prédisent que la social-­démocratie sera fracturée sur cette question, avec des notables qui s’engageront probablement pour la RIE 3. Dans le canton de Vaud, le duo Broulis-Maillard a réussi son rôle de bélier par l’anticipation cantonale de la RIE 3, en la faisant adouber par un vote quasi soviétique des vaudois·e·s le 20 mars dernier.

Au fond, tout ceci confirme ce que je dis depuis longtemps : l’objectif central de la RIE 3 est bel bien d’augmenter la compétitivité fiscale que la bourgeoisie suisse exerce à l’échelle internationale. En tant qu’internationaliste, cela suffit à s’y opposer. Les milieux dirigeants suisses veulent priver les autres Etats de dizaines de milliards de francs de recettes fiscales, avec les conséquences dramatiques que cela aurait sur les pays les plus pauvres.

Tant mieux si des taux d’imposition enfin normaux décidaient certaines multinationales à retourner dans les Etats où elles sont sises réellement. La RIE 3 va en outre relancer la concurrence fiscale entre cantons. L’exemple de Berne est frappant, dans la mesure où ce canton annonce vouloir baisser son imposition des bénéfices des entreprises, alors même que ce canton est connu pour n’abriter aucune société à statut spécial. On voit ici à quel point la suppression des privilèges fiscaux pour les multinationales et holdings n’est qu’un prétexte. Enfin, la RIE 3 constitue une remise en cause profonde du rôle redistributeur de la fiscalité en Suisse, par un transfert massif de la part payée par le Capital, vers celle financée par les milieux populaires et la classe moyenne.

Que préconises-tu dans un pareil contexte?

Il est de plus en plus probable que le PSS se prononce en parole contre la RIE 3, et dans les faits ne mène pas la campagne référendaire, au vu de leurs divisions, et que la direction du PSS laisse passer le projet fédéral.

Bien sûr, le fait que la première force politique dite « de gauche » ne fasse pas front dans cette bataille rendrait plus ardue la campagne. Néanmoins, en tant que militant·e·s de gauche, nous devons faire aboutir coûte que coûte le référendum. Contrairement au vote vaudois, nous avons des chances de le gagner, quelles que soient les forces en présence et cette bataille doit être menée également pour l’avenir. En clair, s’il n’y a pas de référendum, la bourgeoisie suisse ne tardera pas à lancer une RIE 4 qui, plus qu’un bateau chargé, sera un vrai torpilleur.

Entretien réalisé pour solidaritéS par Pierre Conscience

30 mars 2016, 12:21 | National / RIE3

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