Forfaits fiscaux : ignoble campagne du journal « Le Temps »

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Lettre adressée à la rédaction du journal « Le Temps » le 7 décembre par Claude Calame, membre de solidaritéS Vaud.
Monsieur le Rédacteur en chef,

Mesdames et Messieurs les collaboratrices et collaborateurs de la rédaction,

Le temps et sans doute l’envie m’ont manqué pour formaliser en une lettre de lecteur (qui n’aurait sans doute pas été publiée) les sentiments éveillés par la lecture des différents articles et éditoriaux qui ont ponctué, dans le « Temps », une lourde campagne en faveur des forfaits fiscaux. Quel que soit le résultat du vote, non seulement vous avez tenté de montrer que les richissimes résidents de Cologny étaient soumis à bien des menaces financières et à un sort en somme peu enviable dans leurs palais retranchés, non seulement vous avez essayé de solliciter notre compassion pour ce retraité canadien si modestement retiré sur les hauts de Montreux (alors que, de fait, la plupart des bénéficiaires de forfaits fiscaux continuent à travailler ne serait-ce que pour les investissements que permet leur fortune), mais surtout vous avez dénoncé comme bénéficiaire d’une réelle injustice fiscale le tiers de la population qui serait exonéré d’impôts. Sans compter l’abus d’une telle affirmation, publiée en première page de votre édition du 17 novembre, peut-on vous faire remarquer que s’ils disposaient d’un salaire et d’un revenu décents, ces exemptés non seulement seraient soumis à l’impôt, mais ils ne devraient pas recourir aux prestations complémentaires qui, à la charge contribuable, exemptent de nombreuses entreprises de servir des salaires suffisants. De là la nécessité d’un salaire minimum et d’une initiative à l’égard de laquelle vous vous êtes d’ailleurs montrés un peu plus mesurés.

Quoi qu’il en soit, il est indigne de désigner à la vindicte populaire les plus défavorisés et les plus précarisés parmi les résidents pour détourner l’attention de celles et ceux qui, en raison de leur insolente richesse, bénéficient d’un véritable refuge fiscal. Non contents de soustraire leur fortune et leurs énormes revenus à l’imposition dans le pays qui leur a permis de les constituer, les bénéficiaires de forfaits fiscaux tirent profit autant d’une taxation minimum que d’un secret bancaire qui, à l’interne, n’a pas subi une ride. Certes légale, la fraude fiscale pour les détenteurs des forfaits, si généreusement accordés en Suisse romande, est donc triple. Et il est indigne d’assimiler, comme vous l’avez fait dans un éditorial du 25 novembre, l’initiative contre les forfaits fiscaux à celle d’Ecopop ou celle de l’UDC sur l’or de la BNS. Les principes, les objectifs et les enjeux en étaient à l’évidence diamétralement opposés.

Le rachat du « Temps » par Ringier doit entraîner un changement à la tête du journal dont la rédaction devrait être reprise par le rédacteur en chef de « Bilan ». Du point de vue de la ligne éditoriale, le moins que l’on puisse dire c’est que vous lui avez préparé le terrain. En revanche des licenciements seront l’immanquable conséquence d’une entreprise soucieuse, selon l’impératif du capitalisme néo-libéral, de la maximisation des profits. Je vous avoue que, syndicaliste, je resterai néanmoins insensible si ces licenciements touchent celles et ceux qui ont animé une campagne choquante, s’engageant à défendre de très riches fraudeurs pour la pire des injustices fiscales. Après tout, elles et ils ne seront hélas que les victimes de l’un des principes découlant de la sordide idéologie du profit individuel dont, numéro après numéro, cahier publicitaire après cahier publicitaire, vous vous faites les porte-parole et les défenseurs ; et cela au détriment des salariés, des employés des services publics, des retraités défavorisés, des sans-statut (par ailleurs si utiles à « notre » économie) et des migrant-es. On enferme ces derniers pour les expulser par de coûteux vols spéciaux quand en revanche on accueille à bras ouverts non seulement les riches étrangers, mais aussi les multinationales du négocedes matière premières qui ne payent des impôts ni dans les pays dont ils exploitent les ressources et dont ils tirent leurs énormes revenus, ni dans le pays qui servilement les accueille.

En vous remerciant de votre attention, je prie vous de croire, Monsieur le rédacteur, Mesdames, Messieurs, à l’assurance de mon profond et sincère dégoût.

 

Claude Calame
Directeur d’études, EHESS, Paris
Prof. hon. UNIL

 

NB : au lieu de s’appuyer sur les sophismes du philosophe de service, on ne peut que regretter que les participantes et participants à cette pénible campagne de soutien aux plus riches n’aient pas pris connaissance du bel « éclairage » de Denis Masmejan sur l’histoire des forfaits fiscaux pour en tirer les conclusions qui s’imposaient.

25 décembre 2014, 12:02 | National

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