Il faudra bien, pour la troisième fois, sauver Lavaux

« Circulez, tout va bien, on s’occupe de tout ». Tel est en substance le message que le Grand Conseil a voulu adresser aux citoyen·ne·s vaudois en soutenant massivement fin janvier le contre-projet gouvernemental à l’initiative de Franz Weber. Seuls le groupe La Gauche et quelques Verts ont osé briser ce bel unanimisme.

Vaud : L’histoire de la protection du site contre les appétits immobiliers relayés par certaines communes commence en 1972 par une pétition nationale, suivie par le dépôt en 1973 de « Sauver Lavaux », première initiative constitutionnelle approuvée en juin 1977. La loi de protection de Lavaux entre en vigueur en mai 1979. En 2002, la nouvelle Constitution vaudoise ne contient plus d’article protégeant Lavaux. Une seconde initiative « Sauver Lavaux » réintroduit cette protection en novembre 2005, avec plus de 80 % des suffrages. En août 2009, « Sauver Lavaux III » est déposée. Il s’agit non plus d’une initiative constitutionnelle, mais d’un projet de loi rédigé de toutes pièces. Le Conseil d’Etat propose alors déclarer nulle cette initiative. Le Grand Conseil ne le suit pas ; il valide l’initiative. Trois recours sont alors adressés à la Cour constitutionnelle vaudoise, qui les accepte en novembre 2010. Nouvelle salve de recours, des initiants cette fois, au Tribunal fédéral, qui reconnaît la validité de l’initiative et annule l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

Un enjeu réel

Toutes ces péripéties montrent bien qu’il en va de quelque chose de plus sérieux que de la possibilité d’agrandir ou non ici une école et là les locaux du service du feu. Il suffit de voir ce qui est arrivé à La Côte – autre vignoble, mais non protégé – durant ces vingt dernières années pour comprendre à quoi Lavaux a échappé grâce à sa protection relative. Car les vautours de l’immobilier de luxe tournoient et guettent la faille. Acquéreur du Clos de Chillon, Christian Constantin a déjà déclaré qu’il était séduit par la région…

Mais si la protection de Lavaux a permis d’éviter la catastrophe, elle n’a pas suffi à stopper le grignotage du site ; même l’inscription au patrimoine de l’UNESCO a plus servi les intérêts du tourisme local que ceux du site lui-même. C’est en tout cas ce que défendait Pierre Frey, historien de l’art et professeur à l’EPFL, dans un rapport à un collègue italien, membre de la commission de l’UNESCO : « Mon sentiment est que malheureusement l’inscription de Lavaux au patrimoine mondial de l’UNESCO a aiguisé les appétits sans créer une véritable conscience de ce qui la motivait à l’origine. Je suis d’avis qu’un examen attentif s’impose d’urgence. » (24 Heures, 1er mars 2011). Parmi ses reproches, celui-ci : « les autorités locales semblent incapables dans la plupart des cas de faire face aux initiatives des particuliers, elles ne sont pas en mesure d’endiguer un enlaidissement rapide des villages du secteur protégé. » On imagine mal, du coup, ces mêmes autorités résister pied à pied aux offensives du secteur immobilier.

La sacro-sainte « autonomie communale »

C’est en défense de l’autonomie communale que le gouvernement a négocié sa version du contre-projet avec les autorités locales de Lavaux et que le Grand Conseil l’a suivi. Ainsi, dans son message, le Conseil d’Etat reproche à l’initiative « Sauver Lavaux III » de donner à la loi cantonale sur le plan de protection de Lavaux (LLavaux) un nouveau régime juridique où elle « disposerait d’une force obligatoire généralisée et déploierait des effets directs sur l’aménagement du secteur concerné ». C’est en effet épouvantable… On a connu le gouvernement moins à cheval sur le principe de l’autonomie communale dans toute une série de domaines (financier, par exemple).

Quant à ce que signifie l’autonomie communale dans ce cadre, voyons l’avis d’un praticien. Pierre Monachon, syndic de Rivaz et partisan de l’invalidation de l’initiative, explique : « Il faut faire confiance à l’intelligence des gens qui dirigent les communes et de ceux qui exploitent les domaines. On doit aménager le territoire pour permettre de produire à moindres frais, sinon les vignerons disparaîtront. Et plus personne ne s’occupera du paysage. » (24 Heures, 18.3.2011). C’est pourtant grâce à l’intelligence des gens qui dirigent les communes et ceux qui exploitent les domaines (souvent les mêmes d’ailleurs) que les anciens murets de pierres sèches ou faiblement maçonnées ont été remplacés à de nombreux endroits par du béton armé, habillé de pierres exogènes, comme l’a relevé Pierre Frey dans son rapport. Tous les écologistes savent que ces murets accueillent et servent d’habitat à une flore et une faune spécifiques. Tous, sauf ceux qui n’ont suivi que les cours d’appui de la Faculté du carnotzet. Selon Emmanuel Estoppey, actuel responsable du site de l’UNESCO, les murs en béton se justifiaient parce que moins chers et la faune n’avait pas disparu.

Le contre-projet prévoit cependant une aide aux vignerons pour l’entretien et la réfection des murs en pierres. Curieux, non ? Mais surtout trop tardif, puisque cela n’effacera pas les dégâts déjà causés. Une protection qui n’est que réactive et tardive ne mérite pas son nom. C’est bien la raison pour laquelle, « à paysage exceptionnel, législation exceptionnelle », selon la formule de notre camarade Jean-Michel Dolivo (groupe La Gauche) durant le débat. Car comme le rappelait le professeur Pietro Laureano, à qui le rapport Frey était adressé, la petite superficie du Lavaux « fait que la moindre intervention sur le territoire a un grand impact et rend la situation fragile. Si les constructions continuent de miner le vignoble en terrasses, il pourrait, au terme d’une longue procédure, être classé sur la liste des sites en danger ».

Daniel Süri, tiré du nº 244 du bimensuel solidaritéS

5 mars 2014, 12:43 | Eco-logique / Grand Conseil / international / Logement / National / Vaud

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