Loi sur l’énergie: quand les intérêts des propriétaires évincent ceux du climat

Le parlement vaudois a accepté une révision de la Loi sur l’énergie; celle-ci est censée encourager les économies énergétiques et le recours aux renouvelables. Autant d’objectifs louables, mais dont la réalisation est pour le moins timorée.

 

Du côté des avancées prévues par cette révision, on relèvera que désormais, pour toute nouvelle construction, l’eau chaude devra être produite avec au minimum 30 % d’énergies renouvelables provenant du solaire, du bois ou d’un réseau de chauffage à distance. En ce qui concerne le chauffage, le projet de loi prévoit une utilisation d’énergies renouvelables de 20 % si l’apport principal est le gaz et de 40 % s’il s’agit du mazout.

Ces mesures ne sont pourtant pas suffisantes, et de loin. D’un point de vue climatique en effet, et dans l’optique d’une sortie du nucléaire, la consommation énergétique des bâtiments est un enjeu central, peut-être davantage encore que le transport individuel motorisé : si ce dernier est responsable d’environ un tiers des émissions de CO2 en Suisse, les bâtiments en produisent approximativement 45 %. L’assainissement d’un bien immobilier est susceptible de réduire de moitié les émissions de CO2 induites par la quantité de chaleur nécessaire au chauffage : en Suisse, 1,5 million de bâtiments nécessiteraient un tel assainissement.

Choc électrique

C’est dire si les associations de propriétaires sont dotées d’un fort pouvoir de nuisance anti-écologique quand elles décrètent que toute législation contraignante va à l’encontre de leurs intérêts (comprendre : les coûts induits réduisent le rendement des immeubles). La Chambre immobilière vaudoise (CVI) et son partenaire junior dans cette affaire, le groupe d’intérêt « Choc électrique » qui défend les propriétaires de chauffage électrique, viennent d’en offrir une démonstration éclatante, en se mobilisant avec succès contre certaines mesures proposées par le gouvernement.

Parmi celles-ci, était prévue l’obligation de remplacer les quelque 25 000 systèmes de chauffages électriques vaudois d’ici à 2030 : des installations désuètes, en vogue il y a une quarantaine d’années, lorsque les Etats cherchaient une solution de rechange au mazout, après le choc pétrolier de 1973. Le rendement de ces installations est en effet trois à quatre fois inférieur à celui des techniques de chauffage les plus efficientes, tout en représentant 8 % de l’énergie consommée dans le canton. Pourtant, la réforme proposée par le gouvernement ne risquait pas de mettre les milieux immobiliers sur la paille, car elle prévoyait une exception pour les propriétaires qui ne seraient pas en mesure de financer les travaux par leurs propres ressources ou par un crédit bancaire ; en outre, une subvention étatique était annoncée si le nouveau système installé recourait aux énergies renouvelables.

Cette mesure a néanmoins passé à la trappe, face au spectre d’un référendum porté par la CVI. Reste que le débat a permis à certains députés d’avancer des arguments d’une intelligence proprement lumineuse : un parlementaire du PLR s’est ainsi élevé contre les « discriminations » qui frapperaient les chauffages électriques par rapport aux vélos électriques. La droite a également fait valoir qu’il suffisait d’attendre que la Confédération interdise ce système de chauffage, « oubliant » que l’article 89 de la Constitution fédérale confie aux cantons « les mesures concernant la consommation d’énergie dans les bâtiments ».

Opacité

Au moment où les députés débattaient de la Loi sur l’énergie, tombait une autre information révélatrice de la manière dont le Conseil d’Etat s’incline devant les intérêts des propriétaires : le Rapport général de gestion 2012 du « Programme Bâtiments », un fonds fédéral destiné à l’assainissement des bâtiments, financé par la taxe sur le CO2, révélait que le Canton n’y recourt pratiquement pas. C’est que les associations de propriétaires considèrent que ce programme n’est pas assez « incitatif », réclamant en sus des avantages fiscaux, comme en témoigne une salve de motions déposées au Conseil national par des parlementaires de droite.

En 2008, le député Bernard Borel, membre de la coalition POP/Solidarités, demandait que soit introduite l’obligation d’établir des certificats énergétiques pour les bâtiments mis en location ou en vente. Le gouvernement s’était alors rallié à cette proposition. Une telle mesure aurait été favorable aux locataires, qui auraient pu s’appuyer sur cette certification énergétique des immeubles pour demander une baisse de la facturation des charges liées au chauffage : l’opacité actuelle ouvre en effet la porte aux surfacturations de la part des bailleurs. La récolte de renseignements précis en vue d’un bilan énergétique du parc immobilier est en outre un préalable à toute réforme écologique en profondeur.

Mais là encore, les pressions de la CVI se sont avérées payantes, qui se disait, dans sa réponse du 29 septembre 2011 à la mise en consultation de la révision, «opposée à la forme obligatoire que le Conseil d’Etat souhaite conférer au certificat.» L’injonction des propriétaires a été suivie par une majorité du parlement, qui a vidé la proposition Borel de sa substance par voie d’amendement, en supprimant son caractère contraignant et en annulant la possibilité pour les locataires de consulter, sur demande, le certificat énergétique. Pour exprimer son désaccord face aux reculades du parlement devant les milieux immobiliers, le groupe La Gauche (POP et solidaritéS) a refusé la révision lors du vote final.

Hadrien Buclin

20 novembre 2013, 18:14 | Eco-logique / Economie / Grand Conseil / Logement / Vaud

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