«Mon engagement est parti du sentiment que quelque chose ne tourne pas rond»

Isabelle Lucas

« Née d’un couple mixte avec une mère suisse – un des pays les plus riches du monde – et un père haïtien – un des pays les plus pauvres de la planète – j’ai eu, depuis toute jeune, le sentiment qu’il existait de profondes injustices dans les possibilités d’accéder à des conditions de vie humainement dignes suivant le lieu de sa naissance. Noire dans un pays blanc, je me suis rapidement rendu compte que le comportement des un·e·s et des autres n’étaient pas toujours le même avec moi qu’avec mes petits camarades. Il en résultait parfois un sentiment de malaise sans que je puisse le comprendre. Enfin, les fins de mois étaient souvent difficiles, malgré un travail intense, dans un pays où l’argent coule à flot. Il y avait là, dans ma tête d’enfant, des contradictions troublantes. Suivant le lieu de vie, la couleur de la peau, le montant du compte en banque, mais aussi l’appartenance de sexe (ce que je réalisais plus tard à l’adolescence), je voyais bien que les conditions de vie, ou de choix de vie, n’avaient pas les mêmes potentialités. Donc mon engagement actuel est parti d’abord d’un ressenti, celui que quelque chose ne tournait pas rond, qu’il y avait des injustices et que celles-ci pouvaient prendre des proportions inconsidérées et révoltantes. J’étais alors profondément affectée par les lynchages de Noir·e·s opérés par le Ku Klux Klan aux Etats-Unis, par le travail des enfants dans les mines, celui des Sud-Américaines dans les zones franches (maquiladoras) du Mexique, mais aussi, dans ma vie quotidienne, par le racisme ordinaire, la vie des working poor que je connaissais ou la suffisance des « héritier·e·s ».

En m’intéressant à la politique et par mes études (et mon travail d’intervenante sociale que je réalisais en parallèle), j’ai commencé à pouvoir mettre des mots sur ce sentiment. Ces injustices, qui me touchaient, n’étaient jamais individuelles, mais liées à des divisions artificielles faites entre des groupes d’individus sur la base de la classe, de la « race », du genre et de rapports internationaux profondément inégalitaires. Ces divisions n’avaient rien de naturel, elles répondaient aux intérêts bien compris de certains autres groupes, minoritaires, mais puissants économiquement et politiquement. Comme elles n’étaient pas naturelles, cela signifiait qu’il était possible d’agir dessus. Je me suis d’abord engagée à Attac et au Cetim. Mais, tenter d’agir d’emblée sur les grandes inégalités internationales bute rapidement sur d’énormes obstacles. Je me suis donc rapprochée de solidaritéS, car ses combats me semblaient justes et ses moyens d’action réalistes. En agissant sur deux fronts, celui des institutions politiques traditionnelles (partis et syndicats) ainsi qu’au sein des mouvements sociaux, les résultats sont possibles. Même s’ils sont infimes, ils existent et donc ça signifie qu’il est possible d’agir sur des structures économiques, sociales et politiques profondément injustes.»

Isabelle Lucas, Lausanne (tiré du bimensuel solidaritéS nº 195)

5 octobre 2011, 14:57 | Antiracisme / Economie / Féminin/masculin / Images et paroles / international / Lausanne / National / Travail / Vaud

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