manifestation nationale contre Ecopop 45

Vers midi, Brasserie Treiber, 3 septembre 1866, commune des Eaux-Vives, tout près de Genève ; quelques passants attendent l’arrivée du cortège parti du Temple unique de l’ordre maçonnique. Il a traversé les bas quartiers de Genève, alors les plus populaires. Devant le millier de manifestants, on aperçoit un drapeau rouge sur lequel est inscrit « Pas de devoirs sans droits ! Pas de droits sans devoirs ! », le drapeau de la 1ère Internationale qui va tenir là son premier Congrès après un repas fraternel.

A vrai dire, parmi les passant qui attendent le cortège se trouve un petit groupe d’une dizaine de jeunes, mené par un étudiant en droit, Eugène Protot, et par Alphonse Humbert (qui sera rédacteur au Père Duchêne). Ils sont blanquistes et décidés à perturber les travaux du Congrès en intervenant contre Tolain et les proudhoniens. Ils n’y arriveront pas et seront traités par le proudhonien Murat de « bavards de café qui ne savent que caresser les grisettes... ».

Retour au Congrès, un petit congrès par le nombre : 60 délégués dont 33 Suisses, une quinzaine de Français, quelques rares Anglais et Allemands, sept membres du Comité central de Londres, pas de Belges ou d’Italiens... Marx n’est pas venu. Derrière l’estrade trois drapeaux, celui des Etats-Unis, car l’on va célébrer l’abolition de l’esclavage, le drapeau de la Suisse et le drapeau rouge d’un syndicat de menuisiers.

On ne saurait ici retracer tous les travaux de ces six jours de congrès. 11 points sont à l’ordre du jour, sans compter l’adoption des statuts. Le Congrès est dominé par les oppositions entre proudhoniens et marxistes. Ces derniers l’emportent généralement. Un des moments les plus significatifs, mais méconnu, est le débat sur la possibilité d’adhésion à l’Internationale des non-ouvriers. Les proudhoniens français s’y opposent, avançant l’idée que la participation des intellectuels, avocats, journalistes, etc., nuirait au caractère ouvrier, au caractère de classe que devait prendre le mouvement. Les membres du comité central, les Britanniques, prônent au contraire que l’Internationale ne peut se priver de leur apport (sans que le nom soit évoqué, chacun pense à Marx...). Ils l’emportent. Ainsi l’AIT sera constituée, encore en 1871, tant de syndicats ouvriers que de sections locales ouvertes à tous.

Par contre, sur une question, celle du travail féminin, les proudhoniens français – soutenus par les représentants allemands – vont gagner la partie après un vif débat. Ils considèrent que la place de la femme est au foyer et, en des termes violents, dénoncent le travail féminin cause de « la dégénérescence de l’espèce humaine ».

Mais ceux des proudhoniens qui évoluent vers une conscience révolutionnaire défendent le travail des femmes. Varlin, qui avait vu la place essentielle prise par les femmes dans les luttes de la reliure, s’écrie : « La femme doit travailler et être rétribuée par son travail. Ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre (...). Et que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme, même produit, même salaire ». Si Varlin n’est pas suivi par le Congrès, cette idée sera bien présente dans la Commune.

Le dernier jour du congrès, les délégués firent une promenade en bateau sur le lac. Ils avaient dressé le drapeau rouge à la proue du navire. Et les bons bourgeois de Genève eurent peur d’un débarquement des partageux...

Jean-Louis Robert

(In : La Commune / Association des Amies et Amis de la Commune de Paris, 1871, Nouvelle série, no 67, 3e trimestre 2016, p. 15-16)