HPIM0044

Lors de la première séance du cycle de formation national de solidaritéS, tenue le 25 octobre dernier, notre camarade Sébastien Guex a proposé une analyse des mécanismes de dynamique et de crise du capitalisme. Voici le texte de cet exposé. Prochaine séance: samedi 21 février 2015 dès 13h à La Maison de quartier sous-gare à Lausanne.

 

Donner une petite bibliographie

Le mode de production ou le système capitaliste n'est pas du tout un système stable, qui suit son cours et se développe de manière équilibrée, pour ne pas dire harmonieuse. Il est si fréquemment secoué par des déséquilibres et des crises qu'on peut presque dire que le capitalisme, c'est le déséquilibre, c'est la crise. Le nombre de crises qui secouent le capitalisme depuis qu'il s'installe comme système dominant à l'échelle mondiale, donc disons depuis 1840, le prouve: au moins une vingtaine de crises, c'est-à-dire une crise en moyenne chaque décennie. Si l'on prend les seules 40 dernières années, on a des crises sérieuses pendant les années 1974-1977, 1980-1983, 1990-1994, 1997-1999, 2001-2003 et depuis 2008 jusqu'à aujourd'hui.

Par quoi se distingue une crise en société capitaliste? Très succinctement, par un fort ralentissement, voire une chute des ventes de marchandises et de l'investissement, phénomènes qui entraînent la faillite de nombreuses entreprises, des vagues de licenciements et une montée du chômage et de la pauvreté.

Les crises varient en intensité et en longueur dans le système capitaliste: par exemple, la crise de 1920-1922 a été extrêmement intense, avec une très forte poussée du chômage, mais elle se résorbe rapidement, dès la fin de 1922. Les crises majeures du système capitaliste sont donc celles qui durent à la fois longtemps et sont intenses et, depuis un siècle, 2 crises de ce type ressortent, la «Grande crise» qui touche tous les pays industrialisés de 1929 à la fin des années 1930 voire le début des années 1940 (USA) et l'actuelle crise, qui début en 2008 et qui semble loin d'être terminée.

Comment expliquer les crises?

Une première remarque: l'économie politique bourgeoise, la pensée libérale ou néo-libérale, ne parvient pas à expliquer la crise parce que — schématiquement — la bourgeoisie et les penseurs bourgeois sont intimement convaincus que le système capitaliste est le seul système possible. Toute leur pensée, leur vision du monde obéit donc à l'idée et à la volonté de démontrer qu'en principe, c'est-à-dire si ce système fonctionnait selon les modèles théoriques qu'ils construisent et où il n'y a que du marché et aucune autre dimension (sociale ou politique ou culturelle), il serait équilibré, stable, sans crise. Dans leur vision du monde, c'est parce qu'il y a des phénomènes étrangers au marché, par exemple le fait que les salariés s'organisent collectivement et se défendent en formant des syndicats ou en faisant des grèves, ou le fait que l'Etat intervienne pour réguler certains aspects du marché, qu'il y a des crises. La pensée libérale ou néo-libérale ne dit donc pas grand-chose d'intéressant sur le phénomène de la crise. Ce n'est pas exagérer ni prêcher pour sa propre paroisse que de prétendre que pour comprendre ce phénomène essentiel, il faut rompre avec la vision capitaliste-libérale du monde et que parmi les courants de pensée qui se situent dans une autre perspective que le libéralisme, c'est le marxisme qui parvient — et de loin — à expliquer le mieux les crises.

A un niveau très élevé d'abstraction, les crises du mode de production capitaliste sont issues d'une contradiction fondamentale, de la contradiction centrale ou majeure de ce mode de production: la contradiction entre la socialisation effective de la production et la forme privée, capitaliste, de l'appropriation. Le développement du mode de production capitaliste a signifié une socialisation de plus en plus grande de la production, c'est-à-dire que la division du travail est de plus en plus grande. Avant le développement du capitalisme, la production d'un bien était le fruit de la mise en relation d'un nombre assez restreint de travailleurs, parce que la division du travail était peu développée. La construction d'une maison impliquait la coopération — disons — d'une dizaine d'artisans différents. Aujourd'hui, elle implique la mise en relation de centaines de travailleurs spécialisés. Et je ne parle pas de la production d'un ordinateur qui implique une immense chaîne où sont impliqués des dizaines de milliers de travailleurs ayant chacun sa spécialité. Le capitalisme implique donc la socialisation croissante de la production. Mais en même temps, la production, les forces productives, les fabriques si vous voulez, ne sont pas une propriété collective des salariés, elles sont et restent une propriété privée des capitalistes qui obéissent à un seul objectif: le profit maximum. Dès lors, tout le travail de l'humanité n'est pas régulé ou dirigé selon un plan conscient, mais obéit à des forces aveugles, ce qu'on appelle «les lois du marché», bref aux mouvement du taux de profit. Cela entraîne une énorme anarchie dans l'économie capitaliste, de gigantesques gaspillages, une agression de plus en plus mortifère contre la nature. Et cela entraîne des crises fréquentes car cette contradiction entre la socialisation croissante de la production capitaliste et la forme privée de l'appropriation se traduit par une contradiction entre la tendance au développement illimité des forces productives et les limites plus étroites dans lesquelles reste enfermée la consommation.

La crise en système capitaliste se distingue donc des crises que les système de production antérieurs connaissaient. Dans ces systèmes, les crises étaient des crises de sous-production, c-à-dire qu'elles étaient liées à des pénuries de moyens de production et/ou de moyens de consommation. En revanche, la spécificité des crises capitalistes, c'est qu'elles sont des crises de surproduction, c'est-à-dire que — paradoxalement — il y a excès de marchandises, excès de capital productif (trop de fabriques) et excès de capital-argent (trop de banques). Attention! Cet excès, cette surproduction n'est pas absolue, mais relative, c'est-à-dire, par exemple, qu'il y a trop de marchandises non pas dans l'absolu, non pas par rapport aux besoins sociaux de la population mondiale, mais par rapport à la seule chose qui intéresse les capitalistes: la demande solvable, la demande-argent, l'argent dont disposent les travailleurs.Essayons de voir cela un peu plus en détail.

Deux facteurs se combinent pour provoquer les crises capitalistes:

1) Les capitalistes, ceux qui investissent dans les entreprises et/ou les dirigent, ne produisent pas des marchandises, que cela soit des souliers, des machines, des ordinateurs ou des soins hospitaliers dans des cliniques privées, pour répondre à des besoins sociaux, mais pour dégager des profits et les profits les plus élevés possible. Ils ne recherchent pas les profits les plus élevés pour des raisons psychologiques ou même sociales, parce qu'ils sont avides de gain, cyniques, amoraux, ou poussés par la volonté de se distinguer, etc. Ces raisons existent, mais elles sont secondaires par rapport à la raison essentielle, d'ordre économique. Le capitalisme est un système de concurrence entre des capitalistes rivaux et donc seuls survivent à long terme les entreprises qui dégagent des profits supérieurs à la moyenne. Les autres sont condamnées à disparaître, soit qu'elles font faillite soit qu'elles sont mangées par les sociétés plus dynamiques ou plus grandes. Dégager des profits les plus élevés possible est donc une contrainte implacable, à laquelle tous les capitalistes sont soumis.

Et c'est là que réside une première contradiction du système capitaliste qui explique que les crises constituent une composante structurelle de ce système. Chaque capitaliste individuel a intérêt à se battre pour que, dans son entreprise, les salaires qu'il verse aux travailleurs soient les plus bas possible afin de dégager le profit le plus élevé possible face à ses concurrents. Soit deux entreprises de l'horlogerie dont les travailleuses produisent chaque année 1'000 montres vendues pour un montant total de fr. 500'000. Chacune des 2 entreprises à des coûts fixes — pour les bâtiments, les machines, les matières premières, etc. — semblables, soit de fr. 500'000.- chacune. Mais dans le capitaliste de l'entreprise A parvient à verser des salaires beaucoup plus bas que celui de l'entreprise B: ses coûts salariaux atteignent 500'000.- alors que ceux pour l'entreprise B atteignent 1 million. Le résultat, c'est que le taux de plus-value ou le taux de profit dégagé par le capitaliste A sera de 50% alors que celui du capitaliste B sera de 33%. Autrement dit, en vendant ses 1'000 montres, le capitaliste A dégagera un profit de 250'000 contre 167'000 pour le capitaliste B. Si cette situation se maintient durant plusieurs années, le capitaliste A disposera de beaucoup plus de capitaux — en termes marxistes l'accumulation du capital sera beaucoup plus grande — et il pourra donc acheter plus vite de meilleures machines, plus productives, et couler son concurrent.

Individuellement donc, chaque capitaliste essaie de maintenir les salaires les plus bas possible dans son entreprise et les capitalistes dans un pays essaient de maintenir les salaires les plus bas dans leur pays afin de l'emporter sur leurs concurrents dans les autres pays. Mais les capitalistes doivent vendre leurs marchandises, et les salaires qu'ils versent représentent la majeure partie de la demande solvable. Le fait qu'ils limitent les salaires signifie donc que, de l'autre côté, ils restreignent la demande pour leurs marchandises, ils rendent plus difficile la vente de leurs produits. Autrement dit, la première contradiction structurelle du capitalisme qui explique l'irruption de la crise est la suivante: plus les capitalistes limitent les salaires, plus leur taux de profit est élevé et plus ils vont investir massivement et donc pousser à la hausse de la production de marchandises. Mais cette masse croissante de marchandises va se heurter tôt ou tard au fait que, les salaires et donc la demande solvable étant limitée, il y a surproduction de marchandises, c'est-à-dire qu'une part croissante des marchandises ne parvient plus à se vendre.

Dans un premier temps, cette contradiction se manifeste par le gonflement des stocks, puis, lorsque les stocks atteignent leurs limites, par le fait que les entreprises les plus rentables commencent à baisser leurs prix pour écouler malgré tout leurs marchandises. Cette baisse des prix acculent à la faillite les entreprises dont la productivité est la moindre ou qui ont les reins les moins solides, c'est-à-dire peu ou pas d'appui des banques. Surtout, cette baisse des prix pousse à la baisse le taux de profit des autres entreprises, celles dont la productivité est moyenne ou élevée. Comme les entreprises écoulent déjà difficilement leurs marchandises et que le taux de profit décroît, elles diminuent donc considérablement leurs investissements: en clair, elles n'achètent plus de bien d'équipement nouveaux, ne construisent plus de nouvelles usines, ce qui fait que les entreprises de biens d'équipement commencent aussi à éprouver des difficultés à vendre. Les plus faibles font faillite et le taux de profit se contracte dans ce secteur aussi, poussant les entreprises de biens d'équipement à restreindre à leur tour leurs investissements. A noter que c'est notamment dans ce sens que les marxistes disent que la dynamique structurelle du capitalisme tend, à long terme, à diminuer le taux général du profit.

Tous ces phénomènes produisent une première poussée du chômage. Mais les chômeurs touchent un revenu nettement moindre, la demande du côté des salariés se contracte donc, ce qui précipite une nouvelle baisse des prix. Les entreprises à la productivité moyenne font maintenant faillite; le taux de profit devient si faible que les entreprises à haute productivité survivent, mais doivent licencier aussi et ne stoppent complètement leurs investissements. Tous ces phénomènes provoquent une poussée massive du chômage. On entre dans une spirale infernale vers le bas, appelée spirale déflationniste: baisse des prix = baisse du profit = faillite et régression des investissements = hausse du chômage = baisse de la demande = effondrement des ventes = chute des prix et ainsi de suite. L'exemple le plus grave est celui des années 1930. Mais pour la période actuelle, cela fait 6 ans que le système capitaliste est au bord du précipice.

La réponse que la bourgeoisie ou les milieux dirigeants donnent à cette crise peut contribuer à atténuer ou à intensifier la crise de surproduction. Schématiquement, la politique concrète mise en place par la bourgeoisie face aux crises a pris 2 directions:

A) soit la bourgeoisie décide de pallier, de remplacer la demande solvable qui manque par une demande supplémentaire venant de l'Etat (=keynésianisme). En clair, l'Etat accroît massivement ses dépenses — grands travaux, dépenses militaires, etc. — dans l'espoir de relancer la consommation et l'investissement, de diminuer ainsi le chômage, et finalement dans l'espoir qu'un cercle vertueux s'engage: Moins de chômeurs = plus de demande = croissance des ventes = relance de l'investissement (on agrandit les usines, on engage des travailleurs) = diminution du chômage = plus de demande, etc. 3 problèmes: 1) ne marche que si les capacités de production sont, au moment du plan de relance, à un niveau assez élevé. Si les machines ne sont utilisées qu'à 50% de leur capacité, les capitalistes les feront tourner davantage mais n'investiront pas davantage = il n'y aura pas de véritable diminution du chômage et tout le plan de relance s'enlise. A moins que le plan de relance soit gigantesque. Mais alors 2e problème: provoque déficit très élevé de l'Etat, ce qui risque de provoquer à son tour 2 conséquences néfastes: a) une crise financière de l'Etat parce que les capitalistes indigènes ou étrangers ne veulent plus lui prêter b) une forte hausse des prix, c'est-à-dire une inflation à 6%, 10% ou 20%. Les capitalistes redoutent une inflation forte car il détiennent toujours une part importante de leur fortune en placements à rendement fixe — en clair des titres de la dette de l'Etat — qui rapportent, par exemple, du 4%. Si l'inflation est de 10% par année, ils perdent chaque année 6% de leur fortune.

Et il y a un 3e problème avec un plan de relance keynésien. Si la bourgeoisie d'un Etat lance un grand plan de relance, rien ne lui garantit que ce ne soit pas les capitalistes concurrents qui vont bénéficier du plan. Exemple: l'Etat A décide d'un plan de relance de 50 milliards axé sur la construction d'infrastructure de transports (routes, chemins de fer, canaux, etc.). Des dizaines de milliers de chômeurs vont être remis au travail, toucher à nouveau un salaire plein et consommer davantage. Mais rien ne dit qu'il vont consommer les marchandises produites par les capitalistes du pays A. Si les voitures du pays B sont meilleur marché et que les télévisions du pays C sont aussi meilleur marché, le plan de relance du pays A aura finalement bénéficié bien davantage au concurrent qu'aux capitalistes du pays même. C'est en large partie ce qui s'est produit en France entre 1981 et 1982, avec le premier Gouvernement Mitterand qui, en pleine récession, a lancé un grand plan keynésien qui a essentiellement profité aux capitalistes japonais (voitures) et allemands (machines).

B) C'est pourquoi les capitalistes préfèrent en général, sauf si le rapport de force politique avec le MO les obligent à faire une politique keynésienne, l'inverse de celle-ci, soit une politique dite «déflationniste», c'est-à-dire essayer de baisser le prix du travail — baisse des salaires, augmentation du temps de travail, etc. — davantage que les concurrents afin gagner des parts de marché à leurs détriments. Le problème évident est que, si tous les capitalistes font la même chose, comme cela a été le cas durant la crise des années 1930 et c'est en partie le cas depuis 2008, le résultat global est de comprimer encore davantage la demande solvable et donc d'accentuer la crise de surproduction. On entre alors dans une crise particulièrement longue et intense.

En dehors de la politique économique menée par la bourgeoisie, il existe encore plusieurs facteurs qui tendent à déclencher ou à accentuer la crise de surproduction de marchandises. Parmi ceux-ci, 3 sont particulièrement importants:

a) Il y a des décalages très importants dans les temporalités et dans les volumes entre les deux grands secteurs de l'industrie productive: les investissements dans le secteur des biens d'équipement — énergie, infrastructures, machines, chimie lourde, etc. — sont beaucoup plus lourds et ne peuvent être rentables qu'après des périodes beaucoup plus longes que dans le secteur des biens de consommation. Un investissement pour construire un barrage et une usine électrique est 100 ou 1000 fois plus lourd que pour une usine de chaussures et il faut 20 ou 30 ans pour que cet énorme investissement commence à rapporter les premier bénéfices alors que pour une usine de biens de consommation, la durée est beaucoup plus courte, de l'ordre d'une ou deux années.

Cela signifie qu'il y a en permanence, en société capitaliste, des déséquilibres entre les 2 secteurs, en fin de compte des déséquilibres des taux de profit, des déséquilibres qui, s'ils se produisent dans le secteur des biens d'équipement ou même dans certaines branches de ce secteur — énergie, par exemple — peuvent déclencher une crise générale du système. Il est certain que la hausse soudaine des prix du pétrole en 1973 a, si ce n'est déclenché, en tout cas, aggravé la crise de 1973-1976.

b) le système capitaliste produit en permanence des excès de production de marchandises dans certaines branches ou pour certaines marchandises, provoquant une crise de surproduction limitée à cette branche ou cette marchandise mais qui peut se transformer en crise générale de surproduction de marchandises. Ex. de la "crise Internet" du tout début des années 2000: dans années 1990, il y a eu engouement pour les produits informatiques = les taux de profits des entreprises actives dans ce domaine ont bondi bien au-dessus de la moyenne. Extrêmement rapidement, des masses très importantes de capitaux se sont précipités vers cette branche, les entreprises ont poussé comme des champignons avec, pour résultat, qu'au tout début des années 2000, il y a eu surproduction massive de produits internet: après avoir acheté un ou 2 ordinateurs, les salariés ne vont quand même pas en acheter encore 5 de plus. Conséquence: de très nombreuses entreprises informatiques ont fait brutalement faillite, avec poussée du chômage, et la crise dans cette branche a failli se transmettre, par effet boule de neige, à l'ensemble de l'économie vu le poids des capitaux investis dans l'industrie informatique.

c) Et puis, il y a des sortes de limites sociales ou naturelles à la consommation de marchandises. Je m'explique. Pour le dire simplement, les gens qui disposent d'un revenu, et donc d'une demande solvable, ne vont pas s'acheter, sauf une minuscule minorité, 5 ou 10 voitures, 5 ou 10 télévisions, 5 ou 10 frigo. A partir d'une certain niveau de consommation ou de saturation, les besoins et la consommation se déplacent vers des produits où il est beaucoup plus problématique, pour les capitalistes, de dégager des taux de profits élevés ou même d'obtenir tout cour des profits parce que ces besoins et cette consommation se déplacent vers des activités non marchande. Ex: vieillissement de la population diminue considérablement le besoin — et donc la vente — d'objets de consommation durable — les vieux ne peuvent plus conduire une voiture, faire du ski ou de la voile, etc. — et augmente massivement les besoins peu marchandisables — les soins à domicile, le besoin de compagnie, les tâches ménagères — ou non marchandisables: les vieux jouent au carte, à la pétanque, vont à la pêche, font du yoga, des promenades, de la peinture ou du chant.

2) Le second facteur qui se combine étroitement au premier pour provoquer les crises capitalistes est le suivant. Je vais beaucoup plus vite. Lorsque, pour les contradictions que j'ai mentionnées plus haut, le taux de profit des capitaux investis dans le secteur productif diminue, les capitalistes investissent une part croissante de leurs capitaux dans le secteur financier, dans le secteur nom-productif ou parasitaire. Le capital-argent/les banques se développent de plus en plus ce qui provoque deux choses:

a) ce capital-argent ou bancaire devient de plus en plus puissant et s'approprie une part de plus en plus grande de la plus-value produite par les travailleurs. Cela entraîne donc une baisse supplémentaire du taux de profit moyen du capital productif et donc un déplacement supplémentaire des capitaux productifs vers le secteur financier, improductif. Le mouvement tend bientôt à s'emballer.

b) il a donc montée de la spéculation et formation de «bulles financières ou spéculatives» qui éclatent tôt ou tard et peuvent, si ces bulles ont pris une très grande ampleur, déclencher une crise capitaliste généralisée. C'est ce qui s'est passé en 1929 et en 2008. Les grandes banques mondiales qui avaient massivement spéculé dans les années 2000-2008 — en particulier sur l'immobilier américain et espagnol — se sont retrouvés virtuellement toutes en faillite à l'été 2008 lorsque les prix de l'immobilier ont violemment chuté. Elles n'ont été sauvées que par des fonds gigantesques mis à disposition par les Etats. Le déficit de ces Etats s'est donc brusquement aggravé, ce qui a fait que les Etats les plus faibles — Grèce, Portugal, Espagne — n'ont plus pu emprunter. D'où des politiques brutales d'austérité, qui entraîne une baisse de la demande solvable de la population et donc aggrave la surproduction de marchandises: dès 2009, on entre dans une crise capitaliste généralisée.

Concentration et centralisation du capital

Les crises sont fréquentes en système capitaliste. Or, dans chaque crise, seuls les capitaux les plus rentables survivent. Les entreprises moins rentables disparaissent ou sont rachetées par les sociétés plus rentables. Le capitalisme se caractérise donc par une concentration et une centralisation croissante du capital. En d'autres termes, la production et le commerce mondial sont concentrés dans un nombre de plus en plus restreint de sociétés géantes:

— environ 50% sociétés contrôlent actuellement environ 25% de la production de marchandises à l'échelle mondiale;

— une vingtaine de sociétés contrôlent l'essentiel du commerce mondial.

Il y a également centralisation du capital, c'est-à-dire qu'un nombre de plus en plus restreint de banques contrôlent les flux financiers mondiaux: actuellement, une vingtaine de banques assurent à elles seules peut-être la moitié des flux nationaux et internationaux de capital-argent.

Ce phénomène est très important car les entreprises capitalistes de plus en plus grandes ne peuvent pas se développer à l'intérieur des frontières nationales, qui sont trop étroites pour elles. Elles doivent donc conquérir des marchés à l'extérieur du marché national ce qui les met en concurrence aiguë — en fait en guerre — contre les grandes entreprises détenues par les capitalistes d'autres Etats. Ici réside — très schématiquement — l'origine de l'impérialisme.

Les ondes longues du capitalisme

Le capitalisme semble connaître des phases cycliques de longue durée où il est plutôt en expansion ou, au contraire, plutôt en ralentissement et où les crises capitalistes sont donc plus fréquentes et plus intenses.

— Onde récessive de 1818-1848

— Onde expansive de 1848-1873

— Onde récessive de 1873-1894

— Onde expansive de 1894-1913/1920

— Onde récessive 1913-1943

— Onde expansive 1943-1973

— Onde récessive 1973- ???

Question très intéressante: il semble que des mécanismes internes — surproduction de marchandises/baisse du taux de profit moyen entraîne le passage d'une onde expansive à une onde récessive. Mais il semble que ce soit des phénomènes exogènes au strict fonctionnement du mode de production capitaliste — en particulier des phénomènes de nature politique — qui entraîne le passage d'une onde récessive à une onde expansive.

Sébastien Guex