Début 1913, paraissait une brochure au titre incisif, «Le parti pettavelliste, appelé faussement parti socialiste neuchâtelois, est un danger public». L'auteur, Auguste Spichiger (1842-1919) était correspondant neuchâtelois de La Voix du Peuple (organe syndicaliste révolutionnaire, édité par la Fédération des unions ouvrières de Suisse romande). Ce texte critique les pratiques et l'idéologie de la «trilogie ouvrière» (parti, syndicat, coopérative), ayant structuré pendant un demi-siècle le mouvement ouvrier des Montagnes neuchâteloises.

Au début du XXe siècle, une nouvelle équipe - dont Paul Graber et Charles Naine - prit la tête du Parti socialiste neuchâtelois (PSN). Plusieurs de ces  nouveaux dirigeants avaient appartenu auparavant à l'Union chrétienne de jeunes gens (UCJG), animée par un pasteur de l'Eglise évangélique neuchâteloise indépendante de l'Etat, Paul Pettavel (1861-1934).
Le PSN était alors une force hétérogène, ce qui suscita l'intérêt de James Guillaume, animateur de la défunte Fédération jurassienne de l'Association internationale des travailleurs (AIT): «Les premiers contacts furent noués par l'intermédiaire d'Auguste Spichiger, un ancien compagnon de la Fédération jurassienne, qui participait aux activités du groupe des jeunes socialistes. En novembre 1903, Guillaume publia dans La Sentinelle cinq articles sur Le Collectivisme de l'Internationale, qui furent plus tard réunis en brochure. Il espérait que Charles Naine, Achille et Paul Graber, poussés par leur antimilitarisme, perdraient leurs 'illusions parlementaires' et évolueraient dans la direction du syndicalisme révolutionnaire» (Marc Vuilleumier, «De l'esprit libertaire de la première Internationale au syndicalisme révolutionnaire du XXe siècle : James Guillaume (1844-1916)», Revue neuchâteloise, no 55/56, été-automne 1971).
Mais peu avant l'arrivée du PSN à la tête des villes du Locle et de La Chaux-de-Fonds (1912), les rapports entre socialistes et libertaires devinrent franchement hostiles. Citons le rapport 1912/1913 de l'Union ouvrière à La Chaux-de-Fonds: «L'année 1912 marquera une époque intéressante dans les annales syndicales de notre ville. Nous pourrions la dénommer: l'année de la débâcle anarchiste. Les quelques anarchistes que comptent nos organisations ouvrières tentèrent un suprême effort contre nos organisations centralistes groupées dans notre Union. En s'introduisant dans plusieurs syndicats à effectifs faibles ou ne groupant que des femmes, ils réussirent à détourner de notre mouvement les faiseuses d'aiguilles, les termineurs et termineuses de la boîte, les maçons et manoeuvres. Pour créer un mouvement d'opinion favorable à leur action, ils lancèrent inconsidérément une grève des maçons; ils escomptaient que le public ouvrier prendrait fait et cause pour eux comme il le fit en 1904. L'Union ouvrière ne voulant pas être dupe de leur manoeuvre fit connaître publiquement sa neutralité dans ce conflit. Alors, livrés à eux-mêmes, n'ayant pas obtenu de la population et des syndicats de la ville le mouvement de solidarité qu'ils avaient espéré, les maçons durent reprendre le travail sans conditions» (Archives de l'Union syndicale, PE 161). Comme le relève l'historien Jacques Ramseyer, «l'heure n'est plus aux grèves, au moment où la gauche, après quelques péripéties, conquiert une première fois la majorité sur le plan communal».
La brochure d'Auguste Spichiger dresse donc un état (polémique) des divergences et des affrontements entre sociaux-démocrates et libertaires. Mais émigré en France durant la guerre, Spichiger ne put pas concrétiser une alternative à la gauche du PSN. Ce n'est qu'après la grève générale de 1918 que la gauche socialiste (animée par le pasteur Jules Humbert-Droz) fonda un parti adhérant à l'Internationale communiste. Mais ceci est une autre histoire...

Hans-Peter Renk



Chronique d'une liquidation politique

Ancien membre de l'UCJG, Paul Bonjour (responsable du service librairie de la Jeunesse socialiste, devenu «Librairie  du Peuple» en 1908) adhérait aux thèses de Spichiger. Prétextant des problèmes de gestion, «pour débarquer Bonjour et sa belle-soeur qui n'étaient plus considérés comme étant à la dévotion des Pettavellistes, on leur chercha une querelle d'Allemand. La Librairie du Peuple ne donnait pas des résultats financiers satisfaisants, elle était en déficit. (...) Bonjour fut remplacé par Mlle Naine, piétiste pratiquante, soeur de Charles Naine, et d'autres demoiselles inféodées aux mômiers prirent la place de sa belle-soeur. A partir de ce changement, l'exposition des oeuvres socialistes en devanture fit place à l'exposition d'oeuvres d'un caractère clérical et politicien» (A. Spichiger).


A lire

Auguste Spichiger, Le parti pettavelliste. Lausanne, Impr. des Unions ouvrières, 1913 (Disponible à: BV La Chaux-de-Fonds, BPU Neuchâtel)
Olivier Pavillon, «Les anarchistes au pouvoir», Constellation, février 1969.
Jacques Ramseyer, «Les anarchistes à la Chaux-de-Fonds (1880-1914): de la propagande par le fait au syndicalisme révolutionnaire», Musée neuchâtelois, 1985, p. 3-21
Marc Perrenoud, «De la 'Fédération jurassienne' à la 'Commune socialiste' : origines et débuts du parti socialiste neuchâtelois (1885-1912)», Cahier / Association pour l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier, no 5 (1988), p. 123-147
Charles Thomann, Une chronique insolite de La Chaux-de-Fonds, 1898-1932 : rédigée d'après la Feuille du dimanche, un journal déconcertant, à la fois religieux, socialiste et libéral, publié par un homme d'exception: le pasteur Paul Pettavel. La Chaux-de-Fonds, Ed. d'En Haut, 1988.