La nouvelle loi fédérale sur la nationalité et son ordonnance d'application entreront en vigueur au 1er janvier 2018. Cette législation introduit de nouvelles discriminations institutionnelles et constitue un durcissement grave des conditions de naturalisation.

 

Jusqu'alors pouvaient devenir Suisse ou Suissesse les étranger·ère·s ayant 12 ans de séjour sur sol helvétique et bénéficiant d'un permis B, C ou F, ou d'une carte de légitimation. Avec le nouveau droit, cette possibilité sera réservée aux titulaires d'un permis C ayant 10 ans de séjour. Dans l'ancien droit, il était possible de déposer une demande pour la famille, ce ne sera plus le cas dès le 1er janvier 2018. Déménager durant la procédure ne sera même plus admis!

La Suisse connaît déjà un droit et une pratique de naturalisation très restrictifs: un quart de la population est privée des droits politiques. S'ajoutent des procédures de naturalisation souvent contraires aux droits fondamentaux liés aux droits de procédure. En 2003, le Tribunal fédéral contestait la pratique de certaines communes de Suisse alémanique, où les naturalisations se décidaient lors de votations populaires au niveau communal. Pour éviter toute décision arbitraire, une obligation de motivation était désormais impérativement requise en cas de refus. Avec la nouvelle loi, le film Les Faiseurs de Suisses sorti en 1978 sera largement dépassé, tant dans l'absurdité que dans l'arbitraire des écueils mis pour se naturaliser.

Discriminations et violation de droits fondamentaux

Le droit au respect de la sphère privée et la liberté d'opinion sont mis en cause. Le refus d'entrer en matière sur une demande de naturalisation pour des personnes ayant purgé une peine de prison ou bénéficié de l'aide sociale dans les trois ans précédant la demande violent l'interdiction de discrimination inscrite dans la Constitution fédérale.

Condition de base de la naturalisation: tout·e requérant·e devra démontrer sa «familiarisation avec les conditions de vie en Suisse». Il s'agit, selon l'ordonnance d'application, d'abord d'avoir des connaissances de base sur la géographie, l'histoire et l'instruction civique suisses. Viennent ensuite la participation à la vie sociale et culturelle, et finalement l'existence de contacts avec des personnes suisses. Ces critères posent des problèmes de respect des droits fondamentaux: leur formulation très floue permet une interprétation très variable au niveau communal, aboutissant à des décisions arbitraires. Par ailleurs, l'impératif de participer à des activités sociales ou de faire du bénévolat constitue un empiètement dans la sphère privée tout comme l'obligation d'entretenir des contacts avec des Suisses et Suissesses.

L'exigence posée du «respect des valeurs de la Constitution» impliquera le respect des «principes de l'état de droit», des «droits fondamentaux tels que l'égalité entre les femmes et les hommes, le droit à la vie et à la liberté personnelle, la liberté de conscience, de croyance, d'opinion», ainsi que l'obligation d'éducation et d'effectuer le service militaire. Ces valeurs abstraites laissent beaucoup de place à des interprétations. Comment prouver que quelqu'un les respecte ou non?

Dans le rapport explicatif, il est précisé que «des convictions ou un comportement contraires à ces droits fondamentaux de la part du·de la candidat·e témoignent d'une intégration insuffisante ; il peut s'agir d'un manque de tolérance à l'égard d'autres communautés ou religions, ou de l'approbation d'un mariage forcé. Les personnes concernées doivent être exclues de la naturalisation». De toute évidence, des opinions (confessions) ou des comportements ne correspondant pas à ces normes peuvent être sanctionnées, alors même qu'il ne s'agit pas de délits pénaux. Pour vérifier ces différents critères, un examen des convictions et croyances sera nécessaire. Or, la garantie constitutionnelle de la liberté d'opinion englobe également des opinions critiques à l'encontre de telles ou telles valeurs inscrites dans la Constitution. L'ordonnance permettra d'identifier ces opinions critiques et d'en faire une condition de refus.

On pourrait naïvement penser qu'un droit fondamental tel que la liberté d'opinion était valable pour chacun·e. Mais, dans la procédure de naturalisation, des opinions dites non-conformes seront utilisées comme arguments justifiant un refus. Au nom des valeurs «officielles», on viole la liberté d'opinion. Il ne s'agit de rien d'autre que d'une forme de patriotisme constitutionnel aux allures de totalitarisme.

Le couperet de l'aide sociale

Le critère de «participation à la vie économique» n'est pas rempli «lorsque le·la candidat·e a perçu une aide sociale durant les trois années précédant le dépôt de sa demande ou qu'il·elle est dépendant de l'aide sociale durant sa procédure de naturalisation». Une personne sera considérée comme intégrée lorsqu'elle participe à la vie économique ou acquiert une formation, ou encore lorsqu'elle dispose d'une fortune suffisante. Un pas de plus dans une marginalisation et une stigmatisation des bénéficiaires de l'aide sociale.

Le critère d'exclusion très stricte qu'est la perception de l'aide sociale durant les trois ans précédant une demande de naturalisation est un standard minimum, qui peut être même renforcé au niveau cantonal. Relevons que les étrangers·ères n'exerçant aucune activité lucrative, mais possédant des moyens financiers suffisants, ne seront pas exclus d'une éventuelle naturalisation. Une clause de sauvegarde pour ces riches étranger·ère·s que la Suisse des banques attire!

Jean-Michel Dolivo

Photo: Gustave Deghilage

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