drapeau catalan

« Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux vous feront haïr les opprimés et vous feront aimer leurs oppresseurs »

(Malcolm X, dirigeant afro-américain, assassiné en 1965)

La crise catalane actuelle met en crise le « régime de 1978 », c’est-à-dire la forme prise par l’exercice du pouvoir dans l’Etat espagnol après la mort de Franco.

Sans entrer dans l’historique détaillé de la transition post-franquiste, on peut reprendre une formule utilisée par un personnage du roman de Tomasi de Lampedusa, Le guépard (qui se déroule dans l’ancien royaume des Deux-Siciles, durant les années 1860 ayant vu la concrétisation de l’unité italienne) : « Changer quelque chose pour que rien ne change ». Pour les classes dominantes, il s’agissait de garantir la stabilité du système capitaliste dans l’Espagne post-franquiste, tout en adaptant les structures de pouvoir à une société qui s’était modernisée et industrialisée, donc ne pouvant plus être régie telle quelle par les normes du national-catholicisme exalté par le régime franquiste.

Mais la crise catalane vient de bien plus loin. Elle traduit les rapports complexes, difficiles et conflictuels entre l’Etat (monarchique) central et les régions « périphériques » de l’Etat espagnol.

 

Quelques rappels historiques

L’unité espagnole se concrétisa vers la fin du XVe siècle par le mariage de la reine Isabel 1ère de Castille et du roi d’Aragon (auquel appartient également la Catalogne) Fernando V. Ce couple de féroces bigots couronnés conquit en 1492 le dernier bastion musulman de la péninsule ibérique, le royaume de Grenade (dans l’actuelle Andalousie). Cette même année, où Cristobal Colom partit découvrir (mais il ne le savait pas) un nouveau continent, les « Rois catholiques » décrètent l’expulsion des Juifs d’Espagne (sous des dehors religieux, cette expulsion se révéla une excellente affaire avec l’expropriation des biens que les expulsés laissèrent sur place…). Les musulmans d’Espagne – dénommés les Morisques – furent, après quelques années de tolérance, forcés de se convertir au catholicisme (comme les Juifs victimes des mêmes procédés dans les siècles précédents, les Morisques continueront à pratiquer leur religion originelle de manière clandestine). De 1609 à 1614, sous le règne de Felipe III, un certain nombre d’entre eux seront expulsés du royaume (1).

L’un des premiers exemples des rapports conflictuels entre la Catalogne et l’Etat central se situe en 1640, avec l’insurrection connue sous le nom de Guerra dels segadors (Guerre des faucheurs) (2). L’hymne national catalan Els Segadors (3) fait expressément référence à ce mouvement.

De 1700 à 1714, la succession du dernier roi d’Espagne, Carlos II (appartenant à la dynastie des Habsbourg, en place depuis Charles Quint - Carlos I pour l’Espagne) suscita un conflit européen : en effet, son successeur s’avéra être Felipe V (Philippe de Bourbon, petit-fils de Louis XIV, roi de France et de Navarre). Mais la branche cadette des Habsbourg (gouvernant alors le Saint Empire romain germanique) s’allia aux autres monarques européens ennemis de Louis XIV pour revendiquer la couronne espagnole. Au contraire d’autres régions, les élites et la population de la Catalogne prirent le parti du prétendant habsbourgeois. Toutefois, le 11 septembre 1714, l’armée royale espagnole prit Barcelone. Felipe V abolira par décret royal les libertés catalanes (los fueros), la Catalogne est mise sous administration directe de la Couronne et la langue catalane est interdite ! L’un des successeurs de Felipe V, le roi Carlos III (1759-1788) interdira même la publication de livres en catalan, le monopole de ces impressions étant réservé au castillan !

Deux siècles plus tard, avec la défaite de la 2e République, l’armée franquiste entre à Barcelone, en janvier 1939. La Generalitat de Catalunya, instaurée en 1932 – non sans conflits – après la proclamation de la République est abolie, la langue catalane proscrite selon la vision ultra-centraliste de la dictature, « España, una, grande y libre » (l’Espagne une, grande et libre). Cela n’empêchera toutefois pas une partie de la (grande) bourgeoisie catalane de s’accommoder fort bien du régime franquiste (4).

 

Un pays en crise permanente durant un siècle

Tout au long du XIXe siècle, l’Etat espagnol est en crise. En 1808, l’empereur Napoléon Bonaparte règla un conflit dynastique chez les Bourbons d’Espagne, en imposant son frère Joseph comme roi d’Espagne. Ce qui mènera à une guerre de libération contre l’ingérence française. En 1812, une réunion des juntes insurrectionnelles réunies à Cadix élabora la première Constitution. Celle-ci sera toutefois abolie par Fernando VII, restauré en 1814. Le soulèvement militaire de 1820 pour rétablir la Constitution de Cadix, dirigé par le général Rafael Del Riego (5) – à cette époque, des militaires se soulevaient pour la liberté, ce qui ne sera plus le cas au 20e siècle… -, fut écrasé en 1823 par une nouvelle intervention de la France (où les Bourbons avaient été également restaurés après la chute de Napoléon).

Dans les années 1820, l’Espagne perdit l’essentiel de son empire colonial « sur lequel le soleil ne se couchait jamais » (l’Amérique latine). Les lambeaux restants – Cuba, Puerto Rico, les Philippines – lui furent arrachés en 1898, au terme d’une guerre perdue avec les Etats-Unis (qui prirent alors le contrôle, direct ou indirect, de ces anciennes possessions espagnoles). Au début du 20e siècle, l’Espagne tenta alors de se refaire une santé, en colonisant – de compte à demi avec la France – le Maroc. Toutefois, son corps expéditionnaire fut écrasé, en 1921, à la bataille d’Anoual, par l’armée rifaine d’Abd-el Krim El Khattabi (6). Durant 5 ans, jusqu’en 1926, le Rif marocain fut un Etat indépendant (7).

 

Les questions nationales dans la péninsule ibérique

Avec l’émergence du capitalisme, deux régions historiques s’industrialisent : Euzkadi (pays basque) et la Catalogne. Mais comme l’Espagne tout au long du 19e siècle ne fit jamais sa révolution démocratique bourgeoise (8), il existe un climat de tension entre une partie des bourgeoisies basques et catalanes et le pouvoir central, dominé par les secteurs les plus rétrogrades de la société espagnole (9).

- Euzkadi : l’idéologue du mouvement nationaliste basque, Sabino Arana Goiri (10) est un traditionaliste catholique conservateur, d’une famille ayant participé aux guerres carlistes du 19e siècle (11). Sabino Arana faisait une définition raciale du peuple basque. Cette origine droitières du nationalisme basque est (et fut) utilisé par les intellectuels españolistes contre la gauche indépendantiste politique (Herri Batasuna) et armée (ETA).

- Catalogne : le paysage est beaucoup plus composite. Au sein du mouvement national catalan, il y a une droite anti-ouvrière, anti-socialiste incarnée par la Lliga Regionalista, de Francesc Cambó. Celui-ci rejoindra du reste le camp franquiste durant la guerre civile (1936-1939). Une composante plus à gauche : Esquerra Republicana de Catalunya (ERC). C’est un parti de la petite bourgeoisie catalane, avec des préoccupations sociales. Son principal dirigeant dans les années 1930, Lluis Companys Jover (12) – avant d’occuper les fonctions de président de la Generalitat de Catalunya (1933-1939) – était l’avocat de la Confederación nacional del trabajo (CNT) d’orientation anarcho-syndicaliste (13). En Catalogne, jusqu’à la fin de la guerre civile, la CNT était hégémonique par rapport à la Unión general de los trabajadores (UGT), dirigée par le Partido socialista obrero español (PSOE).

Enfin, dans les années 1930, se créa, à partir de secteurs dissidents du Parti communiste espagnol (PCE) stalinisé l’organisation marxiste anti-stalinienne, le Partido obrero de unificación marxista (14) – en catalan Partit obrero d’unificació marxista. Son implantation principale se situait en Catalogne L’un de ses principaux dirigeants, Andreu Nín Pérez (15) – assassiné en juin1937 par des agents de la police secrète « soviétique » - avait débuté sa vie politique comme rédacteur d’une revue catalaniste de gauche, El Poble Català (16). A propos des questions nationales dans l’Etat espagnol, le POUM préconisait le renversement de la monarchie au profit d’une Union des républiques socialistes ibériques.

 

Rappel à propos de la transition post-franquiste

Dans la perspective d’une disparition physique du généralissime Francisco Franco y Bahamonde (qui se produisit en novembre 1975), les classes dirigeantes espagnoles et un certain nombre d’acteurs internationaux, dont les USA, intéressés à la stabilité de la péninsule ibérique, se sont préoccupés d’assurer la relève dès les années 1960. De manière générale, on peut dire que la solution idoine passait par la concrétisation d’une restauration monarchique (décrétée par Franco en 1947), accompagnée par les éléments d’une démocratisation (plus ou moins) formelle. La divergence essentielle reposait sur le fait de savoir qui serait le nouveau roi d’Espagne : Don Juan de Bourbon (fils du roi Alfonso XIII, détrôné en avril 1931) ou Juan Carlos (fils de Don Juan de Bourbon). Les prétendants carlistes (Sixte et Hugo Carlos de Bourbon-Parme) furent d’emblée mis sur la touche.

Dans les années 1960 et 1970, l’opposition au régime franquiste se développe (sans que l’on puisse dire qu’elle ait été forcément majoritaire) : parmi les nombreux signes, la grève des mineurs asturiens en 1962 (17), la réorganisation du mouvement syndical (avec la fondation des Commissions ouvrières), la contestation étudiante en 1968, la naissance de l’ETA au Pays basque – qui fera battre le record du saut du monde en hauteur à l’amiral Luis Carrero Blanco, proche compagnon d’armes du Caudillo, sur lequel le bunker franquiste comptait pour serrer les boulons -, la naissance à gauche du Parti communiste espagnol (stalinisé, puis euro-communisé) d’organisations révolutionnaires, se réclamant du marxisme-léninisme, du maoïsme, du trotskysme et de l’anarchisme dans leurs différentes variantes. Pour la seule année 1975, six grèves générales politiques eurent lieu au Pays Basque

En septembre 1975, le régime et son chef agonisant firent assassiner juridiquement 2 militants de ETA et 3 militants du Front révolutionnaire anti-fasciste et patriote (FRAP).

Mais pour assurer une transition sans heurts, il fallait y intégrer les partis de gauche interdits depuis la fin de la guerre civile : le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti communiste (PCE). Dans un premier temps, les élites post-franquistes pensaient légaliser le PSOE, mais laisser le PCE dans la clandestinité – comme l’avait fait dans les années 1920 la dictature du régent Horthy en Hongrie avec la social-démocratie et le Parti communiste. Une vision qui se heurta au fait que, sur le plan syndical, le PSOE représentait (avec l’UGT ressuscitée) très peu de chose, alors que les Commissions ouvrières (sous hégémonie du PCE) avaient davantage de consistance. Quant à la CNT, elle manqua sa rentrée, notamment parce que certains secteurs de sa branche intérieure avaient cru opportun dans les années 1960 d’entrer au syndicat vertical du régime, en croyant rouler dans la farine les phalangistes qui le contrôlaient. Une opération qui se révéla suicidaire politiquement, une fois le syndicat vertical totalement lessivé par la combativité ouvrière…

Dans les négociations qui menèrent à l’ouverture démocratique – élections de Cortès constituants en 1977, adoption de la Constitution monarchiste de 1978 – les coalitions créées par les partis socialistes (Convergence démocratique) et communiste (Junte démocratique) étaient dans un rapport de forces défavorables. Ils étaient par ailleurs soumis à un chantage au retour de la guerre civile (craint par de larges secteurs de la population) ou au maintien tel quel du régime antérieur, ainsi que d’un possible coup d’Etat des secteurs les plus récalcitrants du « bunker » franquiste.

Ajoutons que, depuis 1956, le PCE – après avoir contribué à liquider à la fin des années 1940 les guérillas anti-franquistes (18) – avait adopté une ligne de « réconciliation nationale » et avait intégré à sa Junte démocratique des monarchistes notoires. De son côté, le PSOE – à l’instar de son parti-frère portugais – se purgea très rapidement de ses secteurs « gauchistes » au profit d’un aggiornamiento social-médiocrate, liquidant ses traditions socialistes, ouvrières et républicaines sous l’experte direction de Felipe González, devenu premier ministre en 1982 (19).

Sous la direction de Santiago Carrillo (20), vieux stalinien de choc devenu « euro-communiste », le PCE poussa l’adaptation très loin. Pour obtenir sa légalisation, il accepta la monarchie et le drapeau rouge-et-or, sous lequel les putschistes de 1936 (dirigés par Franco) avaient combattu la 2e République. Dans les premières années de la transition, arborer le drapeau tricolore républicain (21) – qui a fait sa réapparition dans les manifestations populaires – valait aux auteurs de cette audace les matraquages du service d’ordre du PCE. Lors des Cortès de 1977, PSOE et PCE votèrent pour la Constitution restaurant la monarchie – seuls s’y opposèrent Francisco Letamendia, député du parti de la gauche radicale indépendantiste au Pays basque – Herri Batasuna – et Lluis María Xirinachs, sénateur indépendant de Catalogne.

 

Une Constitution monarchique, hautement problématique

Lors de la crise catalane, il est devenu possible d’identifier les axes de blocage qui y furent volontairement insérés par les élites dominantes post-franquistes :

- Article 2 : il stipule l’unité de la nation espagnole – rendant illégal dans les faits toute revendication d’autodétermination ; les autonomies régionales ont été octroyées et ne sont donc pas le fruit d’une convergence entre partenaires égaux (système fédéral, par exemple) ;

- Article 8 : il autorise l’armée à intervenir pour maintenir l’intégrité du territoire national. En clair, si le coup d’Etat des généraux Armada et Millan Del Bosch (février 1981) avait réussi, les putschistes n’auraient même pas eu besoin de changer les normes constitutionnelles pour justifier leur soulèvement. A cette époque, hormis l’implosion de l’Union du centre démocratique (UCD), la question en cours de discussion était précisément l’espace et les limites laissées aux régions autonomes.

- Article 116 : il autorise le gouvernement à établir l’état de siège en cas de troubles intérieurs (ce que pourrait faire le gouvernement de Mariano Rajoy, en cas de difficultés pour prendre le contrôle de la Catalogne) ;

- Article 155 : il vient d’être voté par le Sénat espagnol (Partido popular, Partido socialista obrero español et Ciudadanos) et permet la prise de contrôle de la Catalogne. Rajoy vient de destituer le gouvernement catalan.

 

Les protagonistes de la crise en Catalogne.

Du côté de l’Etat espagnol :

- le Partido poular (PP) : il est issu tout droit des entrailles du franquisme, entre autre par son fondateur Manuel Fraga Iribarne (ministre de l’Intérieur sous Franco en 1963, année où fut fusillé le dirigeant communiste Julian Grimau et où furent garrottés – pour un attentat qu’ils n’avaient point commis - deux militants anarchistes)

- le Parti socialista obrero español (PSOE) : ayant alterné depuis 1982 au pouvoir avec le PP, un certain nombre de ses hiérarques sont tout aussi mouillés que le PP dans la corruption et la gestion clientélaire. Sans oublier des facteurs de promotion sociale, qui ont ainsi vu l’ex-premier ministre Felipe González entré après sa retraite politique (relative) au Conseil d’administration de l’entreprise Gaz Natural…

- Ciudadanos : fondé tout d’abord dans la seule Catalogne sur une base hostile à une autonomie élargie. L’un de leurs griefs à la Generalitat est l’enseignement du catalan comme première langue (c’est comme si en Suisse romande il était jugé scandaleux d’enseigner le français en première langue aux enfants de parents suisses allemands, venus s’établir en Suisse romande). Elargi à l’ensemble de l’Etat espagnol, il est la carte de rechange au PP, en cas de trop forte démonétisation de celui-ci, pour les classes dominantes.

Du côté catalan :

- le Partit demòcrata Europeu Català (PDeCAT) : issu du secteur indépendantiste de l’ancien parti Convergencia i Uniò (CiU), aujourd’hui dirigé par Carles Puigdemont, président de la Generalitat ;

- Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) : parti de gauche, partisan de l’indépendance

- Candidatura d’Unitat populaire (CUP) : secteur anti-capitaliste de l’indépendantisme catalan. Favorable non seulement à la séparation avec l’Etat espagnol, mais aussi au Catalunyaexit (sortie de l’Union européenne) et préconisant le socialisme et l’unité des pays catalans (Catalogne actuelle, Roussillon et Pays valencien).

Il existe en Catalogne des formations de gauche non-indépendantistes :

- Catalunya en Comù : parti de la maire de Barcelone Ada Colau. Favorable à un référendum d’autodétermination, mais non à l’indépendance.

- Podem (branche régionale de Podemos) : position similaire à celle de Catalunya en Comù.

- le Partit dels socialistes de Catalunya : au fil du développement des derniers événements, la succursale catalanes du PSOE connaît un mal de mer important. Plusieurs de ses responsables ont pris leurs distances avec le parti-père au niveau de l’Etat espagnol.

Du côté de la gauche espagnole (le PSOE n’y figure pas) :

- Podemos et Izquierda Unida (coalition électorale fondée dans les années 1980 autour du PCE) plaident en faveur d’une réorganisation pluri-nationale de l’Etat espagnol. Le coordinateur fédéral de Izquierda Unida a toutefois une fâcheuse tendance à renvoyer dos à dos Mariano Rajoy et Carles Puigdemont (cf. sur l’ensemble de ce débat : Josep María Antentas, « Catalogne : autodétermination et droits sociaux », Cahier Emancipation, in : solidaritéS, no 314, 27.9.2017).

- Anticapitalistas (section de la IVe Internationale dans l’Etat espagnol) intervient sur la base de la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple catalan, indépendance y compris (cf. de nombreux articles notamment sur les sites alencontre.org, europe-solidaire.org, solidarites.ch, www.npa34.org.).

 

Il faut en finir avec la monarchie post-franquiste !

Certes, « est-ce donc dans les mots de république et de monarchie que réside la solution du grand problème social ? » (Maximilien Robespierre, in : Le Défenseur de la Constitution, no 1, 17.5.1792). Mais quelques mois plus tard, lors de la 1ère session de la Convention nationale proclamant la République, l’abbé Grégoire fustigeait la royauté en termes on ne peut plus explicites : « L’histoire des rois est le martyrologe des nations).

L’histoire des monarques espagnols durant les siècles de leur pouvoir démontre clairement que l’abbé Grégoire n’errait point. Pour nous limiter au dernier de ces monarques, l’intervention dans la crise catalane de Felipe VI (ou plutôt FeliPPe) démontre à l’envi, s’il en fallait encore une preuve, que cette monarchie (restaurée par Franco en 1947, imposée aux peuples de l’Etat espagnol après la mort du dictateur par le chantage à la guerre civile et au coup d’Etat militaire) ne garantit nullement l’exercice des droits démocratiques. Rappelons que, lors des Cortès de 1977, le PSOE et le PCE n’ont même pas demandé – en contrepartie de leur vote pour la Constitution – le minimum démocratique, à savoir un référendum sur le régime où les peuples de l’Etat espagnol auraient pu opter entre monarchie et république. Or, ils ont à l’époque choisi de s’intégrer au fonctionnement de ce régime.

Preuve en est une lettre adressée, il y a quelques semaines, au secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez – que pas mal de ces notables sociaux-médiocrates avaient largement contribué à défenestrer pour tenter de lui substituer (opération manquée) la présidente de la junte régionale d’Andalousie, Susana Díaz – dans laquelle les susdits notables clamaient « leur loyauté au roi et leur fidélité à la Constitution » (cité par El Pais), condamnant tout dialogue, si timide soit-il, entre les gouvernements espagnol et catalan – que semblait envisager Pedro Sánchez. A ce propos, rappelons cet axiome d’Edouard Vaillant, membre de la Commune de Paris (1871) : « Aux corrompus qui se plaisent dans la pourriture monarchique, aux intrigants qui en vivent, s’unit le groupe des niais sentimentaux » (Journal officiel de la république française, no 87, 28.3.1871). Sur la place qui leur convient le mieux, ces notables peuvent opter…

Aujourd’hui, on ne peut demander, comme le font les directions de Podemos et de Izquierda Unida la réorganisation de l’Etat espagnol sur une base plurinationale (Pedro Sánchez, le dirigeant du PSOE l’avait timidement envisagée), sans poser la question du régime politique. Il est grand temps de sortir des limbes les propositions contenues dans le programme du POUM (1935), à savoir la revendication d’en finir avec la monarchie et de la remplacer par l’Union des Républiques socialistes ibériques. Certes, le chemin sera long…

 

Hans-Peter Renk

 

1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Expulsion_des_Morisques_d%27Espagne

2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_faucheurs

3)

4) L’un des exemples les plus flagrants fut le (défunt) président du Comité olympique international, Juan Antonio Samaranch Torelló (marquis de Samaranch). Pour sa biographie, cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Juan_Antonio_Samaranch

5) Fusillé en 1823, Rafael Del Riego est passé à la postérité grâce à un chant composé en son honneur, El himno de Riego, dont la 2e République fit en 1931 son hymne national (bien sûr ensuite proscrit sous le franquisme). En 2003, lors des championnats mondiaux de tennis en Australie (gagnés par l’Espagne), le trompettiste James Morrison croyant jouer l’hymne officiel – qui est hélas aujourd’hui La Marcha real (La Marche royale) – interpréta, à la fureur des officiels espagnols présents, El himno de Riego :

6) Recevant en 1971 une délégation palestinienne du mouvement El Fatah, Mao Zedong leur déclara : « Chers camarades, vous êtes venus me voir pour que je vous parle de la guerre populaire de libération. Alors que, dans votre histoire, il y a Abd-el Krim El-Khattabi, qui est l’une des principales sources desquelles j’ai appris ce qu’était la guerre populaire de libération » (in : Abd-el Krim et la République du Rif. Paris, F. Maspero, 1976).

7) Sur Abd-el Krim, cf. https://blogs.mediapart.fr/aouina-hamadi/blog/060314/hommage-abdelkrim-el-khatabbi-fondateur-de-lunite-maghrebine

8) Jusqu’à nos jours, la grande propriété terrienne – aux mains de la noblesse espagnole – subsiste. Ainsi, en Andalousie où, depuis 1977, le PSOE gouverne la région (avec des alliances à géométrie variable), puisque la timide réforme agraire entreprise sous la 2e République a été annulée par la victoire franquiste (et la répression du mouvement syndical).

9) La 1ère République ne dura qu’à peine deux ans (1873-1874). Un coup d’Etat militaire restaura ensuite la monarchie en la personne du fils de la reine Isabel II, Alfonso XII.

10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Sabino_Arana_Goiri

11) Après la mort de Fernando VII, qui laissait le trône à sa fille Isabel II, son frère Carlos revendiqua la couronne. Cette querelle dynastique donna lieu, au cours du 19e siècle, à deux guerres civiles. Le mouvement carliste (toujours existant) se divisa dans les années 1960 entre un courant d’extrême-droite (le prince Sixte de Bourbon-Parme) et un autre étonnamment de « gauche » et « autogestionnaire » (le prince Hugo Carlos de Bourbon-Parme).

12) https://fr.wikipedia.org/wiki/Llu%C3%ADs_Companys

13) Hymne de la CNT, A las barricadas (sur l’air de La Varsovienne), paroles :

.

Sur l’histoire de la CNT : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9d%C3%A9ration_nationale_du_travail_(Espagne)

14) https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_ouvrier_d%27unification_marxiste

15) https://fr.wikipedia.org/wiki/Andreu_Nin

16) https://ca.wikipedia.org/wiki/El_Poble_Catal%C3%A0

17) Santa Bárbara bendita, chanson des mineurs asturiens:

18) Francisco Martínez-López « El Quico », Espagne, ce passé qui ne doit pas tomber dans l’oubli : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/150916/espagne-ce-passe-qui-ne-doit-pas-sombrer-dans-l-oubli. Francisco Martinez-López (vétéran du PCE et des guérillas antifranquistes) est l’auteur de Guérilleros contre Franco : la guérilla antifranquiste du León (1936-1951). Paris, Editions Syllepse, 2001

19) Sur ce processus de « normalisation », cf. Tasio Erkizia [et al.], Euskadi, le reniement du PSOE. [S.l.], Editions Txalaparta, 1988

20) https://fr.wikipedia.org/wiki/Santiago_Carrillo

21) A l’occasion des manifestations républicaines, lors de l’abdication (quelque peu forcée, pour ripoliner l’image de la famille royale) de Juan Carlos 1er, cf. une chanson anti-monarchiste, interprétée par le duo Adebán :