entonnoir

L'existence réelle du héros légendaire Winkelried, qui aurait permis aux Confédérés leur victoire de Sempach, est sujette à caution, comme celle du mythique Guillaume Tell. Mais, malgré son caractère invraisemblable, l'existence de Stéphane GEIGER, magistrat à la Cour des Comptes genevoise est - semble-t-il - établie, même si ce dernier s'affiche comme un nouveau Winkelried dans les colonnes du Temps de ce samedi 27 octobre.

 

Affublé du doux sobriquet de Shérif, ledit GEIGER -  disent ceux qui l'ont fréquenté  - est connu  pour ses emportements et sa brutalité, qui rendent d'autant plus inquiétant les rapports selon lesquels il s'exhibait en son temps, muni d'une arme à feu, jusque dans l'enceinte du Palais de justice.

Dans la crise actuelle à la Cour des Comptes, l'homme a été – jusqu'ici - mis en scène dans ce même rôle de «brute», volontiers dépeinte comme caractérielle. Il n'avait en effet rien à perdre, ne se représentant pas, et pouvait donc, à la fois donner libre cours à un véritable mobbing envers le juge Devaud, pour tenter de le décourager et d'entraver son travail, tout en cherchant à rabaisser celui-ci à son niveau, pour chercher à accréditer la thèse du simple «conflit de personnes», qui a servi à une majorité du parlement de prétexte bien commode pour refuser, une première fois, l'institution de cette commission d'enquête parlementaire indispensable que le bureau du Grand Conseil vient de relancer.

 

Sous le seau... le complot !

Dans la Tribune de Genève du mercredi 24 octobre, GEIGER est toujours auto-représenté  dans ce rôle de «brute» pitoyable; tel un taureau blessé, rendu fou par des maux têtes liés à des problèmes de vue ...et par un Daniel DEVAUD qui se «moque bien de lui», il se précipite acheter – sur le champ, ce qui exclut toute préméditation ! - un seau à la Migros au prix de 4fr.50 (détail pour «faire vrai»), pour revenir le remplir (au deux-tiers) et - toute colère intacte, malgré ladite excursion commerciale – le balancer dans et sur le bureau de ce dernier.

Pas très crédible évidemment, mais on reste dans le cadre du rôle... même si un Nydegger, calculateur et madré, reprend le symbole de ce seau «spontané» sur toutes les affiches de campagne de l'UDC, pour signifier, peut-on imaginer, qu'il saura se montrer, à sa manière, aussi (ou plus) efficace qu'un Geiger au service de ceux qui se servent... dans les poches de la collectivité.

Mais, pour en revenir à GEIGER, celui-ci en a - semble-t-il - eu marre de jouer les idiots utiles. Il avait révélé «les dessous de l'affaire» du seau dans la Tribune de mercredi. Qu'à cela ne tienne ! Il livrera samedi dans Le Temps sa nouvelle «version de l'affaire», toute autre, mais peu importe... Dans cette nouvelle variante, qui vaut le détour, GEIGER n'est plus campé dans le rôle du pauvre type un peu cinglé.

Il cherche en effet à y revêtir un habit de lumière, héroïque et patriotique, qu'on en juge: dans un premier temps, il prétend révéler un «véritable plan de sabotage» de la Cour des Comptes, mis au point par «l'extrême gauche genevoise» qui veut «retrouver le monopole de la prophétie» et pour qui «seules les allégations de Christian Grobet ont du crédit». (sic !)

 

Comme conteur, Geiger vaut Muller!

Fascinant récit, à peine gâché, par d'innombrables erreurs factuelles du magistrat GEIGER: comme quand il prête à Christian Grobet la qualité de membre du Conseil de la FPLC*, ce qu'une simple consultation du Registre du commerce en ligne permet de démentir, ou celle où il prétend que le projet de rapport d'audit de la FPLC* concernant l'acquisition des actions aux minoritaires de la RISA n'aurait «pas été accepté» en juin par la Cour, alors que si tel avait été le cas, ce rapport n'aurait évidemment pas été transmis à l'audité et donc à Florian Barro (président PLR de la FPLC) qui l'a eu, vu et lu, puisqu'il s'en est amèrement plaint dans les médias... Sans parler du fait connu qu'il nous est arrivé, ces dernières années, de considérer – en toute amitié - que tout ce que disait Christian Grobet n'était pas forcément parole d'Evangile.

Fascinant récit donc, mais complètement parano, qui mérite, sans aucun doute, qu'on décerne à son auteur, un entonnoir symbolique, à se mettre sur la tête, pour accompagner son seau et rester ainsi dans le champ hydraulique.

Ce qui nous ramène au seau, et au jet d'eau sur Daniel DEVAUD. Dans cette nouvelle variante de la réalité, on n'est plus dans le registre de la colère. GEIGER proclame maintenant fièrement que c'était «un acte de nettoyage» effectué «à titre symbolique». Il atteint des sommets de lyrisme: «Ce que j'ai fait, c'est Winkelried devant le mur de lances! Il fallait que quelqu'un se sacrifie!»

 

Devaud - salaud, Conseil général - loin du bal !

Seul regret de ce kamikaze de pacotille? De ne s'être pas rendu compte plus tôt, dit-il, du «piège tendu» et du «plan de sabotage», ourdi – signalons-le quand même pour compléter la chose dans la même veine paranoïaque - par une «extrême gauche» si diabolique, qu'elle a même réussi à infiltrer son agent Daniel DEVAUD à la Cour des Comptes, en bénéficiant de la complicité suspecte, lors de son élection l'an dernier, de la majorité du Conseil général ! (Conseil général, qu'il y aurait lieu évidemment de dissoudre sur le champ à la lumière de ces révélations fracassantes, si les partis gouvernementaux n'avaient pas déjà fait le travail en effaçant ce concept dans le cadre de la révision constitutionnelle récente.)

Comment la Cour se remettra-t-elle de ces dégâts? Pas de souci ! Pour GEIGER – qui se retire noblement après avoir sacrifié sa vie à la patrie – la réponse est claire: «Stanislas Zuin est l'homme [fort] de la situation.» C'est en effet un «génie de l'analyse organisationnelle et financière.» Nul doute que cette recommandation de Stanislas ZUIN, comme rempart contre les complots et les sabotages de la gauche radicale ne serve à celui-ci (dans certains milieux) d'utile recommandation électorale... ou le contraire, c'est selon!

Démentant au passage le procureur général, Olivier JORNOT, qui affirme avoir mis sous scellés le bureau de Daniel DEVAUD au prétexte, cousu de fil blanc, d'une enquête concernant une «violation de secret de fonction» inexistante et pour établir des faits non contestés (envoi de documents à l'autorité de surveillance), GEIGER poursuit en présentant cette mise sous scellés pour ce qu'elle est sans doute au fond, une «mesure utile à la poursuite des affaires» !

Enfin, GEIGER conclut son interview en répondant franchement concernant la perspective re-proposée de Commission d'enquête parlementaire (CEP). «Pour moi ça ne sert à rien, les choses sont claires.» dit-il. Déclaration intéressante, puisque - la veille - un Communiqué de la Cour «se réjouissait» de la relance de ladite CEP. Ceux qui avaient subodoré que cette position était empreinte du génie diplomatique (pour ne pas dire du talent de Tartuffe) du président de la Cour, n'auront pas vu dans les propos de GEIGER un démenti de cette idée.

 

Un spectre hante Genève...

Enfin, pour revenir aux choses sérieuses. Y-a-t-il quelques chose à retenir de cette interview au-delà des «cingleries» de Stéphane GEIGER et de la douce ironie qu'elles appellent? Oui sans doute!

Ce délire reflète le fait qu'un spectre hante cette République, celui d'une gauche de la gauche – allant de Christian Grobet au soussigné et bien d'autres - qui a bien eu en son temps  – malheureusement – le «monopole de la prophétie», en ce qui concerne notamment l'affaire de la BCG... dont on retrouve des échos (et des acteurs) dans les transactions immobilières actuelles de la FPLC...

On se souviendra utilement que quand nous disions – seuls en effet à l'époque – que la BCG allait s'effondrer suite à ses connivences avec tout une bande de spéculateurs immobiliers, en coûtant des millions aux citoyen-ne-s, les dirigeants de l'époque dudit établissement, relayés par tous la meute des  politiciens de droite (mais pas seulement) au Grand Conseil, criaient aussi au complot visant à «déstabiliser la République».

Ce qu'il y a d'inquiétant, c'est que la collectivité a payé des milliards, que les coupables s'en sont tirés impunément au nez et à la barbe de la Justice... et que la Cour des Comptes, qui est l'un des produits enfantés par cette affaire: est paralysée parce qu'on ne veut pas publier un rapport qui empêcherait quelques millions de plus d'argent public affecté – en principe - au logement «bon marché» de grossir l'escarcelle des mêmes milieux.

Une première réponse, le retour massif indispensable – notamment au Grand Conseil dans moins d'un an - d'une gauche de gauche qui fasse voler en éclats tous ces «consensus» et toutes ces «convergences» que cherchent à porter à bout de bras toutes les puissances de la vieille Genève, de Jornot à Nidegger, du PLR au parti de Hiler... pour servir de paravent à ces trafics discutables et au primat des intérêts privés sur le bien commun.

Pierre Vanek

 

* Fondation pour la promotion du  logement bon marché et de l'habitat coopératif (FPLC)