fiscLe 28 novembre prochain, solidaritéS appelle à voter OUI à l’initiative du Parti socialiste suisse (PSS) contre la concurrence fiscale. En cas de victoire, cette initiative représenterait un premier cran d’arrêt à la sous-enchère fiscale effrénée que se livrent les cantons pour le plus grand bonheur des riches.



En juin 2007, le Tribunal fédéral condamnait comme contraire à la Constitution les nouvelles dispositions fiscales du canton d’Obwald. C’est que les autorités de ce petit paradis rural et catholique sis au bord du lac de Sarnen étaient allées un peu loin dans leur obsession d’attirer les grosses fortunes. Elles avaient tout simplement décidé un taux d’impôt dégressif : à mesure que le revenu augmente, le taux d’imposition baisse. Mais l’arrêté des juges de Lausanne – que l’initiative du PSS, entre autres choses, prévoit d’inscrire dans la constitution – n’a pas pour autant mis un terme à la course aux baisses d’impôts en faveur des grandes fortunes, que l’épisode obwaldien poussait jusqu’à la caricature. Ainsi, à Hergiswil (Nidwald), un célibataire déclarant 250 000 fr. de revenu par an et une fortune de 2 millions paie 33 000 Fr. d’impôts. A Lausanne, il débourserait 83 000 fr. A l’heure actuelle – même si dans ce domaine les choses évoluent très vite – c’est la commune de Wollerau (Schwytz) qui détient la palme de l’imposition la plus basse, avec un taux sur le revenu de 7,5 %. Marcel Ospel, l’ex-brillant PDG d’UBS, y a déménagé en 2005, ce qui lui a permis de réduire ses impôts de 8,5 à 4,2 millions par an.

Propagande éhontée
Dans un système d’imposition progressive standard, les barèmes fiscaux reposent sur une série de taux marginaux. Par exemple, la tranche de revenu entre 50 000 et 55 000 francs est imposée à un taux (marginal) inférieur à celui d’une tranche de revenu située entre 120 000 et 125 000 francs. L’initiative du Parti socialiste prévoit de fixer un taux marginal minimal de 22 % pour les revenus de plus de 250 000 francs nets et de 5 ‰ au moins pour les fortunes de plus de 2 millions.

La propagande des opposants à cette initiative repose sur deux affirmations mensongères. La première, c’est que cette initiative représenterait des hausses d’impôts pour tous. En réalité, elle aurait des conséquences concrètes sur six cantons seulement qui devraient relever leur taux d’imposition (Zoug, Nidwald, Schwytz, Obwald et les deux Appenzell); et dans ces six cantons, elle ne toucherait qu’une minorité des 23 000 nantis qui, selon les données de l’année fiscale 2007, ont un revenu supérieur à 250 000 francs nets ou une fortune de plus de 2 millions.

La deuxième affirmation saugrenue des opposants, c’est que cette initiative conduirait à un exil des grandes fortunes qui quitteraient en masse le pays. Mais pour aller où ? Une statistique parue dans la Neue Zürcher Zeitung du 11 novembre dernier … journal peu suspect de sympathie pour l’initiative du PSS – montre que même en cas d’acceptation, la charge fiscale maximale des hauts revenus serait inférieure de 2 % à la moyenne des pays de l’OCDE (1 % de moins qu’en France, malgré le bouclier fiscal introduit par Sarkozy ; 3 % de moins qu’en Italie, 5 % de moins qu’en Allemagne ; 10 % de moins que dans le pays à la place financière la plus puissante d’Europe, la Grande-Bretagne). En outre, la statistique citée ici ne prend ni en compte l’imposition à forfaits des riches étran­ger·e·s qui n’est pas remise en cause par l’initiative socialiste, ni le secret bancaire suisse particulièrement hermétique qui suppose qu’une part non négligeable de la fortune sous gestion en Suisse n’est tout simplement pas imposée.

Et sur le fond, quand bien même des grandes fortunes s’en iraient, cet argument n’est pas recevable d’un point de vue internationaliste: les baisses d’impôts pour les riches, qu’elles prennent effet en Suisse ou ailleurs, représentent de toute manière un jeu perdant pour les sa­la­rié·e·s et les collectivités publiques. Il faut donc refuser par principe que la Suisse prête la main à ce jeu injuste.

Un premier pas
L’acceptation de l’initiative socialiste, si elle constituait une nécessaire manifestation de ras-le-bol face à cette concurrence fiscale qui ne profite qu’aux riches, n’en signifierait pas pour autant l’instauration de la justice fiscale ni même la fin de ladite concurrence. D’abord, parce que cette initiative ne concerne que les personnes physiques et non les entreprises (personnes morales). Pourtant, dans ce domaine aussi, la concurrence fait rage. Et les socialistes seraient plus crédibles dans leur lutte contre la sous-enchère fiscale si leurs magistrats n’y participaient pas pleinement. Le PSS a ainsi présenté au Conseil fédéral Simonetta Sommaruga qui en 2009 exigeait une amnistie fiscale pour les riches fraudeurs comme contrepartie à la suppression de la distinction entre fraude et évasion fiscales (Bilan, 25.09.09) ! Dans le canton de Neuchâtel, le ministre socialiste Jean Studer et les parlementaires de son parti viennent de voter une baisse de l’imposition sur les bénéfices des entreprises de 10 à 5 % d’ici 2016. Il existe sans doute des manières plus convaincantes de contribuer au « dépassement du capitalisme », qu’ont proclamé les délégué·e·s socialistes lors de leur congrès de Lausanne en octobre… Autant de raisons qui permettent de comprendre que l’inquiétude du ministre des finances de Nidwald Hugo Kayser reste modérée : « Nous serions déçus en cas de OUI. Mais cela nous pousserait à trouver, une fois de plus, une idée innovante pour garder nos contribuables.» (24 Heures, 5.11.10)

Hadrien Buclin