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Qui dit souterrain dit obscurité, opacité. Et ce ne sont pas les dernières révélations de l’Association suisse des banquiers qui démentiront cette connotation. Après avoir éclairé le souterrain, ouvert leurs coffres et refait leurs comptes, les gnomes de Zurich – et de Genève – s’aperçoivent que la fortune de la clientèle étrangère privée « offshore », échappant potentiellement au fisc du pays d’origine, serait non pas de 1’000 milliards, mais quasiment du double (1850 à 2150 milliards, on admirera la précision). Mille milliards était jusqu’alors le montant figurant officiellement dans les statistiques de la Banque Nationale suisse (BNS). De deux choses l’une : soit il s’agit d’un coup de pouce à Hans-Rudolf Merz pour défendre une amnistie fiscale lors de la réunion du G 20 et les chiffres sont volontairement gonflés, soit les données fournies par les banques à la BNS sont du pipeau et cela présage mal de l’avenir des 60 milliards avancés à l’UBS. Dans les deux cas, toute confiance dans les institutions bancaires paraît fort mal placée.

    D’autres interprétations que celle des frères Grimm font du gnome un nain, laid, difforme, malicieux et méchant. De la malice, les banquiers helvétiques en ont à revendre. La facilité déconcertante avec laquelle ils ont réussi à vendre au monde entier leurs concessions comme un abandon du secret bancaire en est la preuve. Car avant de parler de pas historique, de mort du secret bancaire et d’entonner le de profundis, il convient d’être prudent : tant que les conditions concrètes qui ressortiront des discussions avec le G 20 ne sont pas connues, l’ampleur des concessions effectives est difficile à évaluer. Pour l’instant, comme le rappelle le banquier privé Grégoire Bordier, associé de Bordier & Cie et président du Groupement des banquiers privés genevois : « nous avons sauvé l’essentiel » (Le Temps, 14 mars 2009).

    L’objectif des concessions, en revanche, est clair : il s’agit de gagner du temps, d’éviter de figurer sur la liste noire des Etats « fiscalement voyous » et d’échapper à la contrainte de l’échange automatique d’informations. Pour le reste, le Conseil fédéral « habille ses concessions d’autres conditions. Le Département des finances insiste sur le respect des droits de procédure, sur le fait qu’il doit s’agir d’une assistance limitée au cas par cas, qu’elle doit être limitée aux impôts tombant sous le coup de la convention, respecter le principe de subsidiarité et les dispositions destinées à éliminer les traitements discriminatoires. Le Conseil fédéral mettra encore tout en œuvre pour que la coopération transfrontalière en matière fiscale « emprunte exclusivement des canaux définis par voie conventionnelle », précision explicite à l’endroit des Américains, qui ont justement violé les procédures » (Le Temps).

    Tout cela, comme la renégociation d’environ septante accords bilatéraux concernant la double imposition, prendra au moins deux ou trois ans. Le temps de mettre en place d’autres solutions permettant aux plus riches de se soustraire à leur propre fisc. La voie du développement du « trust » — structure juridique complexe d’origine anglo-saxonne, à mi-chemin de la fondation et de la fiducie — semble représenter la solution la plus souvent évoquée. La lutte contre le secret bancaire, quelle que soit sa forme juridique, n’est donc de loin pas terminée. Cela d’autant plus que le secret bancaire continue d’exister dans son entièreté pour les capitaux d’origine suisse ! Ce qui représente tout de même environ 1’300 milliards de francs selon les dernières estimations de l’ASB, entre 1’500 et 2’000 selon celles de l’historien Sébastien Guex. Sur cette somme, combien de milliards fraudés à l’impôt ?

    L’exigence démocratique radicale de la transparence des dépôts bancaires vis-à-vis du fisc reste donc d’actualité. Elle existait d’ailleurs au pays des armaillis, dans la loi fiscale fribourgeoise, qui, au début du siècle passé, demandait qu’à la fin de chaque année, les banques transmettent à l’autorité fiscale la liste nominative de leurs déposants et les montants de leurs comptes. Cela sans qu’il soit porté atteinte à leur sphère privée, puisque ces informations transmises à l’autorité fiscale étaient couvertes par le secret de fonction et n’étaient évidemment pas rendues publiques.

    La levée du secret bancaire fut une revendication traditionnelle du Parti socialiste suisse (PSS). Elle ne l’est plus. Le programme du parti parle de refonte, donc de maintien; son président Christian Levrat s’agite beaucoup pour décrire comment mieux gérer ce secret; pendant ce temps, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey le défend sans compter. Cette main tendue à un des secteurs néolibéraux les plus agressifs, qui a déjà commencé à licencier à qui mieux mieux et qui continuera à la faire, est proprement indécente. Et stupide. Lorsque Pierre Mirabaud, président de l’Association suisse des banquiers parle à la télé de la politique du Conseil fédéral en matière de secret bancaire, il parle de « la politique que nous avons définie ». Jamais le PSS ne sera invité à la définir. Juste à la servir. Dans l’intérêt des licencieurs et des fraudeurs.

Daniel Süri