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Le 28 février 2016 les citoyennes et citoyens helvétiques se prononceront sur l'initiative populaire « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels » (« Initiative de mise en œuvre »), déposée par le parti xénophobe de Christoph Blocher, l'UDC. En novembre 2010, déjà une première initiative « Sur le renvoi des étrangers délinquants », dite initiative des « Moutons noirs », avait été acceptée, en votation populaire, opposée qu'elle était à un contre-projet d'une majorité du parlement fédéral.

 

Ces deux propositions inscrivaient, sous des formes différentes, la double peine dans la Constitution fédérale. Sous prétexte de combattre une prétendue délinquance étrangère, l'initiative comme son contre-projet, visait à sanctionner de manière discriminatoire, les seul·e·s étranger·e·s dans la mesure où ils liaient à la condamnation pénale une peine de renvoi, avec pour unique fondement le fait que la personne condamnée n'est pas de nationalité helvétique. solidaritéS, ainsi que les mouvements antiracistes, avaient mené campagne en refusant de choisir entre la peste et le choléra... et les électeurs·trices avaient préféré l'original (l'initiative UDC) à la copie !

L'identification de la migration à la criminalité comme les campagnes islamophobes constituent actuellement le fonds de commerce électoral de tous les mouvements populistes et racistes en Europe. L'UDC n'est pas de reste.

Rappelons ici que, si les étrangers·ères sont surreprésentés dans les statistiques criminelles, ce n'est pas en raison de leur qualité d'étranger·ère, mais bien du fait qu'ils·elles sont majoritairement de sexe masculin, jeunes et appartiennent à une catégorie socio-économique moins favorisée, comme le soulignent nombre de criminologues sérieux (article d'André Kuhn sur asile.ch). Quant à la grande peur de la disparition de la chrétienté « supplantée par l'islam », elle fait partie d'un fantasme, ouvertement raciste. Dans les années 1930, certain·e·s parlaient « d'enjuivement »...

L'initiative de l'UDC, en votation le 28 février, va encore plus loin en matière de discrimination que celle votée en 2010 : elle demande le renvoi automatique et systèmatique des étranger·e·s reconnus coupables de délits, même de moindre importance, et ce quelle que soit la quotité de la peine prononcée. Prenons un exemple : une jeune femme espagnole de 25 ans née en Suisse, ne disposant pas d'un passeport rouge à croix blanche, amendée pour avoir collé des affiches sauvages à 18 ans, squatté dans un immeuble vide, sera inévitablement, selon l'initiative, condamnée à être expulsée dans le pays de ses parents, voire de ses grands-parents, en sus d'être sanctionnée du fait de l'occupation illicite du bâtiment dans lequel elle habite et de dommages à la propriété qu'elle aurait causé! Même si elle vit depuis 25 ans en Suisse, qu'elle y est née et qu'elle n'a aucune attache avec son pays d'origine, elle sera automatiquement expulsée du territoire.

 

L'UDC fait le procès de l'immigration, définie comme délinquance en elle-même et source de délinquance. Une première condamnation prononcée avec sursis, c'est-à-dire lorsqu'un juge a considéré qu'une peine ferme n'était pas nécessaire pour éviter que son auteur ne commette une nouvelle infraction, est prise en compte et entraînera automatiquement l'expulsion. Le juge ne disposera d'aucun pouvoir d'appréciation. Les principes de proportionnalité, d'individualisation de la peine, le droit à la vie privée et familiale, l'application de conventions internationales que la Suisse s'est engagée à respecter, comme la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), les Accords sur la libre circulation des personnes ou la Convention sur les droits de l'enfant, seront grossièrement bafoués.

Dire non à l'initiative « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels », c'est refuser de consolider encore davantage le véritable régime d'apartheid en place.

Prétendre définir la dangerosité d'une personne en fonction de sa nationalité et la sanctionner de ce fait relève d'un racisme primaire. L'inégalité de statut ainsi que les discriminations entre nationaux et étrangers·ères sont nombreuses, en droit comme en fait. Le régime d'exception pour les étrangers·ères concerne de nombreux domaines : non seulement évidemment celui du statut de séjour, mais aussi, notamment, le droit au mariage, à l'unité de la famille, au respect de la vie privée, à l'accès au marché du travail, au logement, à certaines prestations sociales et bien évidemment aux droits politiques.

L'establishment politique helvétique est très largement discrédité lorsqu'il pousse des cris d'orfraie en s'opposant à l'initiative de l'UDC. Il a lui-même développé, depuis des décennies, une politique que l'on doit qualifier de racisme d'état. Il a ainsi très largement contribué à constituer le terreau qui fait aujourd'hui le succès de la démagogie des politiques xénophobes.

Le vote du 28 février met en évidence l'urgence et la nécessité de construire un large mouvement unitaire, implanté dans la jeunesse, actif sur les lieux de travail, dans les quartiers, pour défendre les droits de tous·tes les migrant·e·s, lutter contre toutes les formes de discrimination et agir contre le racisme. solidaritéS y contribuera.

Jean-Michel Dolivo