ayopLe mythe 
n'a jamais été aussi éloigné 
de la réalité

Les récentes manifestations contre les renvois et les conditions d'accueil des requérant·e·s d'asile prouvent qu'il existe une résistance populaire à la xénophobie ambiante (démontrée par les mobilisations qui ont suivi le vote du 9 février 2014).

 

A Genève, le cas d'Ayop, jeune requérant Tchadien blessé et menacé d'expulsion, a mobilisé une partie de la population. A Lausanne, l'église St-Laurent est le refuge de plusieurs Erythréen·ne·s menacés de renvoi en vertu des accords de Dublin. A Berne, plusieurs mouvements contre l'expulsion de Mehmet Turan, Kurde débouté vers la Turquie, ont eu lieu.

Ces actions s'inscrivent dans un climat de rejet de l'extérieur qui s'est accru en intensité. Avec les accords Schengen et l'UE, les mi­grant·e·s extra-européens en provenance d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine composent une sous-catégorie de voyageurs contre laquelle l'Europe se protège, devenant une forteresse dont l'accès est réservé aux pri­vi­légié·e·s. Des stratégies migratoires répressives de contrôle sont mises sur pied, y compris la création de centres d'enfermement bafouant la dignité humaine et les principes de l'Etat de droit.

La peur de voir « affluer toute la misère du monde » dans nos pays semble légitimer cette répression. Toutefois, c'est oublier un peu vite le rôle dominant de l'Occident – et de la Suisse ! – dans la production et l'entretien de la misère économique et politique (colonisation, soutien aux régimes corrompus, inégalités du commerce mondial, OMC, FMI...) qui provoquent ces déplacements.

Ce n'est pas la misère qui vient frapper à notre porte, mais bien des êtres humains en chair et en os. Un flux de gens que l'on souhaite le plus ténu possible, à qui l'on offre des conditions de vie déplorables dans l'espoir qu'il se tarisse complétement.

Et la Suisse n'est pas en reste dans ce processus de refoulement. L'arrivée en 2003 de Christophe Blocher comme chef du département de justice et police a dégradé la situation. Un nouveau système de régulation des mi­grant·e·s est entré en vigueur en 2004, qui stipule que tout requérant d'asile recevant une « Non entrée en matière d'asile » sera en séjour illégal et devra donc quitter le territoire le plus rapidement possible. Les vols spéciaux continuent à avoir lieu, dans les conditions déplorables qu'on leur connaît.

Aucune solidarité n'existe même avec l'UE puisque le statut de Dublin permet à la Suisse de renvoyer les re­quérant·e·s vers le premier pays où ils ont déposé une demande d'asile, sans s'inquiéter de leur situation, à l'instar d'Ayop, ni de l'engorgement de population que des pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce subissent déjà. De son côté, Mme Sommaruga est en train de lancer une réforme de l'asile qui prévoit des déboutements plus rapides, un doublement des places de détention administrative afin de garantir l'efficacité de cette nouvelle procédure et pour cela des cantons (Genève par exemple) spécialisés dans les prisons pour mi­grant·e·s.

Victimes de la situation économique et politique dans leur pays d'origine, les réfugié·e·s sont les premières cibles des conséquences de ce rejet : voyages vers l'Europe de plus en plus dangereux, incarcération dans des camps, augmentations des trafics, pénalisation et criminalisation. Aujourd'hui, les « camps pour étranger·e·s », lieux de regroupement forcés pour demandeurs d'asile non encore acceptés, sont devenus la clé de voûte des politiques européennes de migration. Parfois acceptés dans un pays d'accueil, les re­quérant·e·s sont alors placés dans des foyers trop souvent décrépis, avec une infrastructure largement insuffisante, constatation honteuse dans le cas d'un pays riche comme la Suisse. Pis, le soi-disant manque de place a même poussé l'ouverture de bunkers, des abris de la protection civile en sous-sol, où les réfugié·e·s s'entassent dans des conditions effroyables.

Que ce soit pour quitter son propre pays ou un autre, circuler est un droit fondamental ancré dans le marbre de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Pourtant, dans la pratique, ce droit est réparti très différemment en fonction des individus. Certes, la résistance existe et a connu des victoires contre cette oppression des personnes migrantes. Déjà en 1973, avec les Action Place gratuite en faveur des réfugié·e·s chiliens, jusqu'en 2015 avec la suspension du renvoi d'Ayop, il est possible de limiter la casse. Mais c'est loin d'être suffisant. Il faut impérativement que la politique d'asile en Suisse (et en Europe) soit repensée et l'accueil amélioré, que cessent les expulsions et les camps pour étranger·e·s, que les sans-papiers soient régularisés et qu'une véritable liberté de circuler soit offerte à tous les êtres humains.

Aude Martenot