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Selon les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique, les femmes formaient encore en 2012 la majorité des personnes vivant au–dessous du seuil de pauvreté en Suisse, soit disposant d'un revenu de moins de 2200 francs par mois pour une personne seule. Surreprésentées parmi les bénéficiaires de l'aide sociale ou des prestations complémentaires de l'AVS, les femmes restent ainsi les premières victimes de l'absence de redistribution des richesses, que ce soit pendant leur vie active, ou une fois arrivées à la retraite.

 

On n'aura pourtant jamais autant parlé des femmes et de leur «protection». Depuis 2009 en Suisse, et la campagne de votation contre les minarets, les femmes et filles de Suisse forment la cible et le support privilégié de toutes les campagnes xénophobes. De ceux qui veulent protéger leurs femmes et leurs filles – comme on protège jalousement son mouton – à ceux qui pensent libérer les femmes à leur place au nom de principes laïcs, les femmes (et plus précisément leur corps) sont ainsi régulièrement visées pour faire accepter des lois discriminantes. Le sexisme est externalisé, reporté sur l'étranger, et devient le propre de l'«autre».

Le résultat de cette exploitation des questions féministes est d'exclure les femmes concernées et de détourner l'attention des revendications féministes légitimes contre le patriarcat occidental, en les faisant apparaître par comparaison au mieux incongrues, au pire carrément indécentes.

On n'aura jamais autant parlé non plus de l'égalité. Agitée tant pour prôner la mise à niveau de l'âge de la retraite des femmes par rapport à celle des hommes, que pour favoriser l'accession de femmes bourgeoises dans les conseils d'administration, l'égalité aura été invoquée jusqu'à la nausée comme une incantation creuse, un concept sur lequel tout le monde tend à s'accorder dans la mesure où il peut tout signifier, sans engager à rien.

La manifestation du 7 mars 2015, dont l'organisation avait tout d'une mobilisation bon teint, travestissant la journée instituée par Clara Zetkin en une union sacrée des femmes «de gauche comme de droite» pour l'égalité salariale, en est un exemple emblématique. On assistait là en effet à la récupération d'un véritable enjeu, transformé pour l'occasion en une logorrhée vide de sens ou de proposition politique, par une manœuvre opportuniste visant à faire taire la critique contre le plan Berset.

Face à une vague de fond qui tend à dévoyer le féminisme en luttes sectorielles de quelques privilégiées, il apparaît pour le moins nécessaire de redonner du sens au féminisme en rappelant sa dimension de projet radical de lutte contre toutes les formes de domination. En fil conducteur de ces tentatives de dévoiement de nos luttes, on retrouve en effet l'absence de prise en compte des rapports croisés de domination entre genres, classes et races, et des hiérarchies entre femmes qu'ils engendrent.

Un piège qui se révèle souvent plus subtil que les exemples précédemment énoncés, tant la société capitaliste nous place parfois face à la tentation de composer avec ses structures actuelles et de permettre au moins l'émancipation d'une partie des femmes, oubliant que dans un tel système la libération des unes ne peut se faire qu'au détriment de l'exploitation des autres.

Un piège qui pendant longtemps, et peut-être toujours en partie, a également conduit la gauche radicale à estimer que les femmes étaient des prolétaires comme les autres, et que l'abolition du capitalisme mettrait fin d'elle-même au sexisme.

La récupération des idéaux féministes ne prenant finalement que la place qu'on lui laisse, redonner du sens au féminisme passe par l'occupation de tous les espaces disponibles par nos revendications. Première mise en application de l'année 2016, la Coordination féministe romande pour des retraites dignes, composée des unions syndicales, de la Marche Mondiale des femmes, de Feminista et des sections féminines des partis de la gauche, appelle à l'occasion du 8 mars prochain à une série d'actions publiques contre l'élévation de l'âge de la retraite des femmes et le renforcement du système de capitalisation par tête contenus dans le projet Prévoyance vieillesse 2020, pour une retraite solidaire qui permettent de vivre et non seulement de survivre.

L'occasion de rappeler que la première menace contre les femmes dans ce pays ne réside pas dans son taux de population non-naturalisée, ou dans le sexe des dirigeants d'entreprise, mais bien dans les prises de position au parlement de ceux qui voudraient nous le faire croire... Nous serons là!

Audrey Schmid